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Au lieu de sanctuariser l’école, le numérique a pour vocation de l’ouvrir au plus grand nombre

1 Juil

ITW donnée au site à bonne école en 2012

L’utilisation du numérique à l’école a déjà modifié et continue de changer le rapport qu’ont enseignants et élèves au temps et à l’espace. Jean-Paul Moiraud en sait quelque chose, lui qui conçoit entre autres activités, des cours en mondes virtuels. Sur Second Life par exemple, il participe aux travaux de la faculté de droit virtuelle de l’université Lyon-III Jean Moulin. C’est pourquoi, A bonne école.net a choisi de l’interroger. Entretien

Jean-Paul Moiraud : Je suis professeur de gestion à Lyon en section design de mode (BTS,DMA etDSAA). Depuis de nombreuses années j’intègre et j’analyse le numérique dans mes enseignements. S’il fallait qualifier mon travail je choisirais sans hésiter le terme de praticien réflexif. Je suis à la fois dans une pratique quotidienne de l’enseignement tout en prenant le temps nécessaire à l’analyse de cette dernière.Depuis deux ans j’interviens à l’Ecole supérieure de l’éducation nationale pour la formation IFDESEN (ingénierie de la formation à distance). J’y analyse les concepts de temps et d’espace dans les dispositifs de formation à distance. J’ai pu alternativement exercer la fonction de tuteur en ligne et celle de concepteur de modules e-learning.

Depuis cinq ans mon travail est orienté autour de la pratique et de l’analyse des questions de formation dans les mondes virtuels. Je participe aux travaux de la faculté de droit virtuelle (FDV) de l’université de Lyon-III Jean Moulin dans le monde Second Life. Je co-conçois des scénarios de simulation en collaboration avec Yann Bergheaud, directeur du SUEL de Lyon et de Gérald Délabre, directeur adjoint de la FDV.

Quels impacts auront concrètement les nouvelles technologies sur l’espace et le temps à l’école ?

J.-P. M.Les nouvelles technologies ont déjà, et depuis longtemps, modifié le rapport au temps et à l’espace. Il ne s’agit plus de parler au futur, même proche, mais au présent. De nombreux enseignants ont appris à composer avec les nouveaux outils et ont commencé à dégager et à mutualiser de nouveaux usages. Je pense que la question de l’environnement numérisé d’enseignement est une donnée devenue incontournable. Elle est inscrite dans la durée. Nous n’en sommes pas encore au stade de la généralisation pacifiée, loin s’en faut. Nous pouvons encore lire des analyses en réaction (pour ne pas dire réactionnaires) qui expliquent que dans le temps (quel temps ?) c’était mieux. Au-delà de ce vieux débat sur la modernité, déjà débattu dans Phèdre : « tu n’offres à tes disciples que le nom de la science, sans la réalité », il faut penser le numérique dans sa globalité. Il y a des usages qui ne peuvent (ne pourront) se développer que si l’on sait penser un (des) nouveau(x) métier(s) configurés dans un nouveau rapport au temps et à l’espace.Mon questionnement à l’heure actuelle est, par conséquent, plus orienté sur le management du changement, que sur le changement technologique lui-même, puisque je considère que ce dernier est en marche. Nous sommes à une période de basculement qui perturbe des équilibres construits depuis de nombreuses années.

Je vais jouer du paradoxe. On ne pourra jamais décréter le changement par voie législative, par décret, par injonction, par voie descendante. Par contre on peut l’encourager, inciter, le faciliter par cette voie, c’est peut-être là que se situe la modernité de la loi Peillon.

Penser le numérique ce n’est pas agir par exclusion, la modernité triomphant de la tradition, mais par addition. Enseigner et apprendre c’est se mettre en capacité d’explorer une multitude d’espaces dans des temps revisités.

Le numérique modifie l’espace et le temps

Historiquement le lieu d’apprentissage et d’enseignement est unique, il est défini par l’architecture d’un bâtiment, d’une classe, d’un amphithéâtre et par le schéma hebdomadaire fixe de l’emploi du temps. Ces frontières historiques se fissurent, on peut désormais apprendre et enseigner hors ce cadre physique et hors des temps normés. Ce simple constat est à lui seul l’axe d’une réflexion sur les changements dans le monde de l’éducation car il est à l’endroit du frottement entre deux plaques antagonistes pouvant entraîner des phénomènes de secousses. 

Le travail des enseignants fait souvent l’objet de raillerie, parce que le discours commun le réduit au temps passé devant les élèves. Les cassandres de tous poils font leurs choux gras des 15 ou 18 heures de cours et des trop nombreuses vacances. C’est faire fi des temps masqués de préparation et de correction des copies. Le numérique amplifie ce débat parce qu’il rend possible, via les fonctionnalités des outils numériques, les modes de travail « anytime et everywhere ». Il augmente le temps et l’espace.

Le temps de travail des enseignants – « anytime »

Le temps de travail des enseignants est, de façon contradictoire, amplifié et dilué par le numérique parce que l’accès aux ressources est rendu possible à tout moment et le contact avec sa (ou ses) communauté de référence est lui aussi accessible en instantané. On mesure facilement le champ des possibles pédagogiques avec l’existence du mail, des blogs, des ENT, des diverses solutions du web 2.0, du cloud, etc. Ce sont là des impacts que nous pouvons déjà mesurer, de nombreuses études s’y sont penchées. Les impacts à venir, pour répondre à la question, viendront certes de la communauté enseignante mais pas seulement.

 Il est dilué aussi parce que l’on s’aperçoit du décalage qui existe entre les usages numérisés souhaités (individuels ou institutionnels) et le cadrage institutionnel du temps. Je vais procéder par raccourci pour donner une vue synthétique des enjeux à venir. Nous avons des usages en cours d’évolution, modelés par un environnement fortement numérisé et caractérisés par la souplesse, l’ubiquité permettant de construire des ressources via un mode de relation non hiérarchique.

On nous enjoint à innover mais !

Le corpus réglementaire qui construit nos métiers est encore inadapté à ces évolutions. Il est d’un autre temps, celui du primat de l’unité temporelle et spatiale. En l’état, tout travail de type numérique est potentiellement un objet a-juridique ou presque. Certes il est prévu que l’on puisse effectuer des missions dont l’objet substantiel est le numérique mais il est pensé, pour l’instant, hors notre mission principale, c’est-à-dire l’enseignement. Il s’agit évidemment d’un sujet extrêmement sensible parce qu’il touche l’ADN du métier d’enseignant : le temps et sa liberté d’utilisation.

Les lieux de travail des enseignants (everywhere)

Le numérique transforme le rapport au savoir par la combinaison de divers espaces. Les enseignants continuent à investir l’espace physique classe mais lui ajoutent la complexité des espaces numériques. Dans les deux configurations l’acte d’enseignement et l’acte d’apprentissage s’y exercent. Il faudra déterminer comment sont qualifiés ces nouveaux espaces, sachant qu’ils s’inscrivent dans une combinatoire possible. Les enseignants peuvent travailler de leur domicile ou de tout autre lieu connecté. Mon propos n’est pas de prêcher pour plus de travail mais de le penser de façon autre, dans un cadre reconfiguré. L’ensemble de la communauté scolaire est démunie face à ces changements, de faits de nombreuses questions ne trouvent pas de réponses, ou de façon insatisfaisante : Peut-on envisager que le service des enseignants inclue une partie de distanciel ? Acceptera-t-on de considérer qu’un temps de travail hors l’établissement est un temps pertinent sans référence au principe panoptique Le distanciel est-il pertinent dans une configuration pré-bac ?

Bien évidement ces idées sont expérimentées, à l’heure actuelle des classes de 6eme peuvent profiter d’une aide en ligne en dehors des cours et en dehors de leur emploi du temps. On sent que de toute part les propositions, en ce sens, fusent. Le numérique compose une nouvelle grammaire où l’on devra de plus en plus conjuguer espaces physiques et espaces numériques.

Et s’agissant des apprentissages ?

J.-P. M. : Les apprentissages des élèves seront à l’image des usages que les enseignants et l’institution sauront mettre en place. Ils seront probablement orientés par la capacité des enseignants à ne plus envisager la transmission du savoir de façon uniquement descendante. Les élèves peuvent désormais avoir accès aux savoirs en dehors des cours, en dehors des lieux normés. Il appartiendra aux enseignants de prendre en compte cette dimension nouvelle, ce changement de paradigme. Il s’agira bien sûr dans cette optique de bien former les jeunes enseignants et d’expliquer aux plus expérimentés les enjeux du changement.

Comment concrètement utilisez-vous le numérique avec vos classes ?

J.-P. M. : J’intègre le numérique depuis très longtemps dans mes classes. Je suis passé par toutes les évolutions et leurs potentiels pédagogiques. J’ai commencé par connecter mon ordinateur à un téléviseur, puis j’ai créé des cédéroms interactifs, puis des blogs, j’ai intégré Facebook pour mettre en relation des professionnels et des étudiants, intégré Twitter pour créer une veille collaborative mutualisable et dernièrement j’ai lancé le travail sur les mondes virtuels. Je tiens à préciser que ma démarche a systématiquement été motivée, non par attrait premier des technologies mais, par les fonctionnalités qu’elles génèrent.Il faut rappeler que les technologies numériques n’ont pas été créées spécifiquement pour le monde éducatif, c’est la logique de l’usage qui a prévalu de façon quasi systématique. En résumé, je n’intègre pas le numérique par principe technophile mais par procédé amont de scénarisation de mes cours.

Peut-on dire que le futur est à l’apprentissage à distance (e-learning) ?

J.-P. M. : Tout dépend de la définition que l’on veut bien donner à cette notion et à quel public on l’applique. Si l’on se réfère à la définition de l’union européenne qui dit que c’est « l’utilisation des nouvelles technologies multimédias et de l’Internet pour améliorer la qualité de l’apprentissage en facilitant l’accès à des ressources et des services, ainsi que les échanges et la collaboration à distance », nous pratiquons déjà le e-learning, il est le présent. Si nous envisageons une définition plus centrée sur le distanciel avec une part large donnée au tutorat nous sommes dans le registre du futur, en tout cas pour ce qui concerne l’enseignement initial pré-bac.Dans l’enseignement supérieur comme pour la formation tout au long de la vie les enjeux sont différents, les acteurs des dispositifs sont autonomes (ou supposés l’être). Il devient possible d’insérer une dose plus ou moins forte de distanciel en jouant sur la gamme qui va de la dématérialisation totale à l’enseignement hybride (blended learning).

Qu’est-ce que cet apprentissage virtuel changerait aux relations sociales ?

J.-P. M. : La notion de virtuel est extrêmement polysémique, ce terme est trop souvent employé pour signifier le terme « numérique ». On doit ainsi distinguer les enseignements et par extension les apprentissages qui instrumentent les réseaux numériques tels les ENT, les blogs, Twitter, Facebook, etc., et les dispositifs de formation immersifs où le terme virtuel est d’une nature différente. Pourtant, au-delà des considérations sémantiques, les espaces numériques et virtuels permettent une socialisation enrichie, loin d’enfermer nos élèves devant un écran, ils les ouvrent vers d’autres relations fécondes au sein d’espaces recomposés. Je recommande à ce titre la lecture des ouvrages et articles d’Antonio Casili.

La sémantique propre à l’école est-elle elle aussi amenée à changer ? Parlera-t-on toujours de classes, d’école, d’enseignants, à l’ère des réseaux et des savoirs accessibles à tous ?

J.-P. M. : Il est fort probable que nousconservions ces termes, car ils sont des marqueurs forts de notre histoire. A titre de comparaison, nos voitures expriment toujours leurs puissances en unité cheval, et pourtant… Nous parlons de classes virtuelles, de classes centra, de tableau numérique interactif (TNI), d’université numérique. Le changement proviendra probablement plus de l’émergence de nouveaux métiers que d’évolution sémantique, je pense notamment à celui de tuteur en ligne.Je suis ici certainement dans le domaine de la prospective mais cela ramène à mes propos de début d’interview sur l’espace et le temps. Il adviendra peut être, dans un temps plus ou moins proche, d’intégrer ce métier dans la nomenclature de l’éducation nationale.

Au fond, le numérique à l’école, n’est-ce pas une manière de sanctuariser l’espace scolaire, jusqu’ici hermétique et en décalage ?

J.-P. M. : Je ne pense pas que l’espace scolaire fut, est ou sera hermétique et en décalage. Il est même un formidable lieu démocratique et de démocratisation. Il a été, est et sera le lieu de la promotion sociale. C’est en tout cas sa finalité. Certes, comme à tous les moments charnières notre système peut avoir des moments de doutes, des crispations, mais sa vocation reste un idéal d’éducation du plus grand nombre. Au lieu de sanctuariser (étymologiquement, un lieu secret et fermé) l’école, le numérique a pour vocation de l’ouvrir au plus grand nombre. C’est ce que semble vouloir démontrer actuellement les MOOC (massive online open courses).

Article publié sur Educadis

1 Juil
« Voilà le train du monde et de ses sectateurs : – On s’y sert du bienfait contre les bienfaiteurs. – Je suis las d’en parler. – Mais que de doux ombrages – Soient exposés à ces outrages, – Qui ne se plaindrait là-dessus ! – Hélas ! j’ai beau crier et me rendre incommode, – L’ingratitude et les abus – N’en seront pas moins à la mode.’

La Forêt et le Bûcheron
Jean de La Fontaine

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Article publié bénévolement et gratuitement sur le site Educadis

Pouvez vous nous  en dire plus à propos de vous et de votre parcours ?

Je suis enseignant depuis 1986 et j’ai eu un parcours que l’on pourrait qualifier d’atypique, un parcours de bricoleur puis de praticien réflexif. J’ai commencé ma carrière comme enseignant d’économie et gestion dans des sections d’arts appliqués. J’ai dispensé des cours dans des sections de BTS design de mode, costumier réalisateur et en DSAA (diplôme supérieur d’art appliqué). J’ai eu à mettre en place une pédagogie dont l’objectif premier était de convaincre un designer en devenir de l’intérêt d’une matière jugée peu « sexy ». J’ai très vite compris que la transversalité des savoirs et les modes collaboratifs étaient des enjeux centraux dans notre système de formation. La pensée en silo est une norme pesante dans le monde enseignant, on pense trop souvent à l’aune de sa discipline sans se soucier de l’écosystème du savoir. J’ai la faiblesse de penser que j’ai parfois réussi auprès des élèves et étudiants mais beaucoup moins pour ne pas dire rarement auprès des enseignants …

Cet idéal de transversalité, auquel je crois toujours, et l’émergence du web ont été un catalyseur dans mes travaux et réflexions. J’ai commencé ce chemin par des démarches de bricolage puis j’ai expérimenté et scénarisé diverses solutions comme les cédéroms, les blogs, les mondes virtuels, les légos …

J’ai travaillé pendant trois ans à l’INRP (institut national de la recherche pédagogique), désormais ifé (institut français de l’éducation) dans l’équipe Eductice comme chargé d’études et de recherches. J’y ai développé une réflexion  sur les scénarios de pédagogie embarquée (SPE) sous la direction brillante et remarquable d’Hélène Godinet.

Cette période a été un temps fructueux car je suis passé des usages intuitifs à une démarche plus réflexive sur mon métier. J’ai commencé, grâce à cette riche période, à nouer des liens avec l’ESENESR (école nationale supérieure de l’éducation nationale et de l’enseignement supérieur) de Poitiers pour laquelle je suis intervenu comme formateur dans le dispositif IFD (ingénierie de la formation à distance). Je continue à y intervenir régulièrement.

Depuis septembre 2013 je suis PRCE à l’Université Jean Moulin Lyon 3 pour la faculté de droit. Je travaille au sein du CDNT (centre de droit et de nouvelles technologies) et à la FDV (faculté de droit virtuelle) et j’y développe, entre autres, des usages et des réflexions sur la simulation en monde virtuel.

A cet instant de mon parcours je me concentre sur deux concepts qui me semblent cruciaux dans un système de formation moderne : le temps et l’espace dans les dispositifs de formation.

Je continue à croiser mes usages de l’enseignement et mes réflexions dans un blog alimenté très régulièrement.

J’ai détaillé plus précisément ce parcours dans mon e.portfolio en ligne.

Pourquoi vous êtes vous tourné vers les TICE et les mondes virtuels dans les dispositifs d’apprentissage ?

 Je me suis avant tout « tourné » vers l’enseignement et c’est toujours mon objectif professionnel. Les TICE ont été une dimension nouvelle, inattendue au service d’un objectif ancien et noble : contribuer à la diffusion et à la démocratisation du savoir. Mon intention n’est pas d’insérer une couche technologique hors sol, mais bien de former des élèves dans un champ disciplinaire et des citoyens capables de réflexion, d’esprit critique et de s’insérer et d’évoluer dans une profession forcément changeante.

Les TICE sont un moyen, pas une fin.

 Elles sont arrivées par effraction dans mon univers professionnel et ceux de mes pairs. Il convient donc d’inverser la proposition de votre question et dire : qu’avons nous fait lorsque les TICE se sont tournées vers les enseignants ? Les technologies numériques que certains s’évertuent encore à qualifier de nouvelles ne sont pas spécifiquement orientées vers l’éducation, elles transforment la société dans son ensemble en modifiant ses structures.

Je l’ai dit en introduction de cette interview, l’enseignement de l’économie et gestion en section design est une activité à risque car la matière est marginale pas forcément valorisée alors qu’elle est centrale dans la vie professionnelle des étudiants. J’ai eu très vite le besoin de prolonger mes cours en dehors de la classe et de les construire  avec une dose plus ou moins forte d’interaction (en présentiel comme en distanciel).

Si je résume les TICE m’ont permis de modifier mon rapport aux apprentissages et mon rapport à l’enseignement :

  • Les apprentissages – J’ai essayé, avec plus ou moins de réussite, de modifier et d’augmenter l’espace classe non seulement pour transmettre des connaissances mais aussi pour faire acquérir des compétences professionnelles à mes étudiants.
  • L’enseignement – Les TICE ont été un vecteur de professionnalisation évident parce que leur introduction m’a largement aidé à m’engager dans un processus réflexif.  Passés les premiers moments de surprise, d’émerveillement, j’irais jusqu’à dire d’étonnement face à l’effet magique, j’ai tenté de prendre de la distance critique.

Depuis plusieurs années j’ai développé des usages dans les mondes virtuels notamment pour ce qui concerne la simulation. Ce travail s’inscrit toujours dans cette démarche de réflexion sur l’augmentation des processus de formation et du lien entre la machine et les acteurs de la formation.

Quelle est selon vous l’importance actuelle de ces technologies pour les élèves ?

 Là encore je vais recentrer la question en orientant mes propos sur le pivot central de la formation : l’apprentissage. Ce ne sont pas les seules technologies qui m’intéressent mais bien la façon dont elles sont instrumentées pour tenter de mieux faire apprendre. Il y a donc avant tout la pédagogie.

Il est donc nécessaire de développer des scénarios spécifiques pour analyser les fonctionnalités à engager dans les dispositifs de formation. À titre d’exemple on peut considérer que dans un dispositif de formation on souhaite engager un acte de coopération ou de collaboration. Il s’agira ici de déterminer quelle est la fonctionnalité de la solution technologique qui permet de satisfaire ce choix pédagogique.

Il faut tenir compte des usages de nos étudiants nés, pour la plupart, dans la société digitale. On utilise très souvent le terme initié par Marc Prensky « les digital natives » pour les désigner. Ils ont des habiletés certaines, développent des usages personnels foisonnants mais ont parfois (souvent ?) du mal à faire le lien entre les deux. Il faut donc apprendre aux élèves et étudiants les enjeux induits par cette porosité qu’entraînent les technologies numériques.

Pensez-vous que les mondes virtuels représentent un nouveau moyen de motiver les élèves par l’interactivité ?

 J’ai engagé depuis plusieurs années des usages et une réflexion sur les mondes virtuels dans les dispositifs de formation. J’ai commencé avec dans les sections de BTS design puis j’ai continué avec les juristes et j’ai observé les médecins.  Les mondes virtuels permettent de mettre en place des dispositifs de formation qui intègrent la simulation. Une façon de passer de l’acquisition des savoirs académiques à l’acquisition des compétences. Les mondes virtuels permettent de réintégrer dans les dispositifs d’apprentissage, le geste, les attitudes, les déplacements dans un espace situé … Les mondes virtuels donnent à réinterpréter les modalités du tutorat[1].

Je développe ces réflexions dans un blog dédié

Il est difficile de généraliser le propos parce qu’il faut contextualiser la formation. Il est nécessaire de mettre en équation le type de formation et sa nécessaire instrumentation. À cette condition limitative, on peut estimer que les mondes virtuels peuvent motiver les étudiants et les élèves.

Il convient ici de définir ce qu’est un monde virtuel :

« Le monde virtuel  est un monde en trois dimensions (3D) créé à l’aide d’un logiciel et d’une programmation spécifiques. Le monde est en général une représentation de lieux réels mais il peut être aussi une construction purement imaginaire élaborée dans le cadre d’une démarche plastique. Il permet à un groupe de personnes éclatées géographiquement et placées en situation immersive d’interagir. Les acteurs du dispositif peuvent, à l’aide d’avatars, d’objets ou d’une vue subjective, parler, écrire, gérer des attitudes corporelles, se déplacer, y compris en s’affranchissant les lois physiques du monde réel. Le groupe constitué partage un intérêt commun, défini dans un projet élaboré de façon formelle. Les apprenants seront mis en situation d’acquisition de savoirs et de compétences en reproduisant des situations du réel. Les situations sont reproductibles à l’infini, elles permettent d’analyser des situations simples (des routines) ou extra – ordinaires. Le monde virtuel de simulation combine des constructions scénarisées au service d’enjeux d’enseignement et d’apprentissage.

La dénomination monde virtuel n’est peut être pas tout à fait adaptée aux enjeux pédagogiques. L’expression lieu pédagogique immersif serait certainement à privilégier. Cet  espace 3D est un lieu d’intériorisation pédagogique c’est-à-dire que les acteurs vivent l’expérience dans ce monde en ayant accepté de déconstruire leurs habitudes spatiales et temporelles du réel pour le reconstruire dans l’espace immersif.

Le monde virtuel se différencie des serious games et des jeux en ligne par la dominante de l’intelligence humaine dans la construction et la réalisation des scénarios. Le serious game et le jeux vidéos sont pilotés en partie par de l’intelligence artificielle. » (Jean-Paul Moiraud, 2012)

Les mondes immersifs sont un moyen d’intégrer l’immersion dans les dispositifs de formation notamment grâce aux simulations.

Selon vous, quels sont les grands avantages des TICE en général ? Et des mondes virtuels ?

 Les TICE permettent d’éditorialiser des ressources de façon plus dynamique. Jusqu’à l’émergence du web 2.0 l’acte de rédaction se limitait à l’écrit et à l’image. Depuis il est loisible aux concepteurs des cours d’insérer la dimension multimodale c’est-à-dire d’adjoindre le son et la vidéo en plus du texte et de l’image. Là encore il faut savoir raison garder et ne pas tomber dans le mirage techniciste, la dimension multimodale nécessite d’acquérir de nouvelles compétences dans des champs multiples. La mode actuelle des MOOCs nous permet d’illustrer cette posture, on peut voir de ci, de là des vidéos navrantes qui illustrent parfaitement le manque de maîtrise des nouvelles technologies.

Les TICE vont contraindre (contraignent déjà) les acteurs de la formation à s’extraire du principe de la collaboration en silo, il faut apprendre à travailler avec tous les acteurs de la filière de formation.

Et à l’opposé, qu’est-ce qui d’après vous peut limiter leur implantation ?

 Les freins au développement des TICE sont nombreux, on peut essayer de les lister sans volonté de hiérarchisation.

  • Le facteur humain

C’est un facteur important car le numérique a modifié très rapidement, sans que nous l’attendions, le paradigme de l’enseignement.  Nous devons accepter de ne plus être les « sachants » parce que le web distribue le savoir, le rend accessible à tous. Les enseignants doivent apprendre à modifier leur posture qui passe de l’oralisation d’un savoir acquis, à une démarche d’accompagnement. La méthode de la classe inversée, l’émergence des Mooc sont l’illustration actuelle de ces changements.

  • Le facteur technique

Le développement des TICE ne peut s’étendre que si la couche technologique essaime sur l’ensemble du territoire. Le travail est largement engagé tant au niveau de l’État que des collectivités locales, le taux d’équipement ne cesse de s’améliorer. Cependant si le taux d’équipement est un indicateur intéressant il faut le corréler avec les possibilités d’accès au réseau, à la capacité des « tuyaux » à acheminer les paquets d’information. Nous sommes encore largement dans la situation ou l’enseignant doit préparer un cours pour les jours « ou ça marche » et les jours « où ça ne marche pas ».

Il est en outre nécessaire de penser l’infrastructure technique dans un contexte plus large qui est celui de l’espace qui l’accueille (l’école, le collège, le lycée, l’Université, le centre de formation continue). Nous ne pouvons plus continuer à penser la salle de formation sous sa forme linéaire c’est-à-dire un agencement qui va du tableau vers l’enseignant puis vers les apprenants.

Les technologies numériques devant être pensées au regard des fonctionnalités à implémenter. Il convient donc de penser de façon différente l’architecture scolaire et de convaincre les enseignants qu’il y d’autres alternatives à la classe autobus. Nous sommes ici sur une problématique de temps dissonants, celui du temps institutionnel, du temps architecturel, du temps du changement.

  • Le facteur institutionnel

La réflexion sur développement du numérique dans les dispositifs de formation ne peut se limiter au simple rapport d’interaction entre enseignants et apprenants. Le débat est systémique, il engage toute l’institution. Le numérique en modifiant les repères de l’espace éducatif et en transformant les repères temps a bousculé l’organisation des services des professionnels de la formation.

L’augmentation de l’espace de formation rend possible le travail hors des lieux immobiliers institutionnels. Il faudra à terme donner sa place au temps de travail numérique. Pour le moment ce temps émerge timidement et vient la plupart du temps en supplément du temps de travail normé (un temps situé dans un lieu). Là encore nous sommes dans un rapport contrarié du temps qui fait confronter les usages et les réglementations.

Comment pensez vous que les TICE doivent évoluer dans les années à venir ?

 Je ne suis pas en capacité de dire de quelle façon doivent évoluer les technologies, je pense que nous sommes tributaires d’évolutions que nous ne maîtrisons pas. Par contre on peut se risquer à émettre quelque avis sur les usages pédagogiques à adopter dans un cadre numérisé. Il est préférable de porter notre attention sur l’évolution des modes de formation, sur les usages des enseignants plus que sur les nouvelles formes technologiques.

Les années à venir doivent (devraient) se caractériser par une dédramatisation de l’usage du numérique chez les acteurs de l’éducation. Il faut que le numérique favorise le développement du travail collaboratif et coopératif, qu’il devienne plus fluide et plus souple. Il est encore hasardeux de dire que ces méthodes sont simples (ce que l’on entend encore trop souvent)

Quelle serait une récente initiative dans le monde des technologies de l’éducation qui vous a particulièrement marqué ? Pourquoi ?

 Je vais répondre de façon indirecte à cette question car c’est la réflexion architecturale sur les TICE qui retient mon attention en ce moment. Il me semble que l’introduction des technologies nous a plongé dans le mythe de la suprématie de l’esprit sur le corps. Nous avons rêvé plus ou moins consciemment d’une dématérialisation des formations. Elle existe bien évidemment mais paradoxalement avec une réintroduction du corps dans les processus de formation.

Ce qui me marque ce sont les réflexions qui se développent autour des bâtiments scolaires à l’heure du numérique. Le lycée d’Orestad est, de mon point de vue une belle illustration de ce principe. Nous avons maintenant passé le stade de la réflexion uniquement centrée sur l’outil, nous sommes en capacité de penser le numérique de façon systémique. Les collectivités locales, intègrent cette réflexion sur les logiques spatiales induites par le numérique.

Cette réflexion m’intéresse au plus haut point car le numérique montre à quel point il est devenu omniprésent dans notre société. La pédagogie se numérise mais elle n’est pas qu’une question de numérique, elle est transversale et embarque l’ensemble de la société dans une mutation que nous avons encore beaucoup de mal à percevoir.

C’est cette réflexion méta qui me marque à l’heure actuelle parce que je crois que c’est le grand chantier présent et à venir.

Merci à Jean-Paul Moiraud d’avoir accepté de répondre à notre interview, et d’avoir exposé sa position de bricoleur. Ci-dessous, vous trouverez un résumé de sa vie professionnelle réalisé en légos.


[1] Tutorales N° 12 de Jacques Rodet – Lire pages 27 à 35 http://www.jrodet.fr/tad/tutorales/tutorales12.pdf