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Chronique de confinement #3

6 Avr

Nous engageons la quatrième semaine de confinement. Il est possible de commencer à tirer des enseignements de cette période :

  • Tenir sur le long terme

Les semaines sont épuisantes, beaucoup plus que lorsque l’on travaille sur site. Certes les échanges sont nombreux, féconds mais ils restent des échanges en ligne c’est-à-dire totalement centrés sur le travail. Les temps de ruptures sociales ont disparu, terminé le temps du café, de la rapide discussion avec un collègue. Le temps de télétravail est un temps totalement productif. Le vendredi soir je suis totalement épuisé.

« Le vendredi je suis épuisé« 

  • La collaboration

Les modalités de travail collaboratif à distance se sont fortement améliorées. Depuis un mois nous travaillons à distance sur une multitude de projets, les calendriers sont serrés. Nous avons mis en place des protocoles de travail qui nous rendent assez efficaces. Les projets s’enchaînent sans que la distance soit un réel frein. Rédaction d’un projet martyr, annotations et insertions de commentaires, acceptation du principe de la critique argumentée. La phrase que je répète à l’envi depuis deux ans est devenue un mode de fonctionnement

« Vous n’êtes pas obligé d’être d’accord avec moi mais dites le en argumentant« 

Il en ressort un mode de travail, qui me semble t-il, dynamise le rythme des projets.

  • La technique

Le télétravail est soumis aux impératifs de l’écosystème technologique personnel (j’avais évoqué cette question en début de chronique #1. Le réel a rejoint le théorique, mon boitier fibre a « rendu l’âme« . Plus de connexion internet pendant deux jours en attendant la livraison express par les services d’Orange mon FAI (soulignons la capacité de cette entreprise à rétablir au plus vite le service).

Une rupture technique de connexion rend assez difficile la continuité du travail car il faut passer par la connexion partagée de son smartphone. Le travail n’est pas facile mais il n’est pour autant pas impossible. Les services 0range sont très efficaces, livraison, activation du soft à distance en 1 jour et demi.

  • Le besoin de communiquer

Il me semble qu’il n’a jamais été aussi important et aussi mis en pratique, notamment sur les réseaux numériques. Il est bon de rappeler, que même si le soleil est tentateur, l’envie de déambuler pressante, la perspective de déguster une bière fraîche (ou autres) en terrasse obsédante. La démarche citoyenne est de rester à la maison :

« Pour ne pas se contaminer

Pour ne pas contaminer les autres

Pour ne pas contribuer à saturer les hôpitaux »

Les réseaux sont donc notre porte d’ouverture sur l’extérieur, l’espace sociale d’augmentation de l’espace confiné.

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  • Après

J’avais évoqué dès le début du confinement  l’apparition très rapide du concept de l’après. Une perception très rapide que cette période allait laisser des traces dans toute la société. Chaque jour la presse, les radios, les télévisions déclinent ce thème.

« Un concept a émergé cette semaine, très rapidement, soudainement, le « monde d’avant » et le « monde d’après«  – Chronique de confinement #1

 

                             « En France, les pistes pour imaginer « le monde d’après »  » – Le Monde

« Coronavirus : la consultation pour préparer « le jour d’après » dépasse la barre des 2 000 contributions » – France Info

« Coronavirus : comment va s’organiser le monde du travail après le déconfinement ? » RTL

« Durée du confinement, tests, masques, l’après-coronavirus: la Première ministre fait le point«  Le soir (Belgique)

C’est une réflexion européenne

La reppublica titre « il futuro dopo l’emergenza...  »

« Coronavirus, per l’inizio della fase 2 il 4 maggio è la data cruciale. Da metà aprile riapertura per alcune imprese » Corriere della sera

Mais heureusement il y a des bonnes nouvelles pour le temps présent 🙂

                                         La Molisana: «La pasta non mancherà mai» – Corriere della sera

#Semaine 4 #Jour 19

  • Technique et moral

Le confinement a des effets que je ne soupçonnait pas. Le moral est sujet à des variations. Cette semaine, les contrariétés techniques m’ont provoquées des maux de tête, des difficultés à dormir. Je sens que je suis plus irritable qu’en temps ordinaire. Cet incident technique me fait redouter le crash de l’ordinateur. Comment faire pour obtenir une réparation ? C’est un sujet qui est statistiquement de l’ordre du raisonnable. Je n’ai pas lu d’article à ce sujet mais sur la masse de personnes en ligne, qui télétravaillent il doit y avoir des incidents. Que faire dans ce cas ?

  • Posture du corps

La posture classique du travailleur du tertiaire est assis à son bureau derrière son ordinateur. On enchaîne les tâches dans cette position. On peut varier à la marge en se lovant dans un fauteuil ou en s’allongeant sur le canapé. Ce ne sont cependant pas des postures pour les visioconférences.

Je tente d’alterner les postures car je commence à avoir mal au dos. J’ai retrouvé une rallonge pour le casque audio, ce qui me permet de rester debout pendant certaines réunions en visio sans perdre le bénéfice de l’audio et / ou en prenant pas le risque d’imposer une effet larsen à mes interlocuteurs (grand classique de l’absence de casque). C’est une posture qui repose le corps contraint à la même posture pendant de nombreuses heures. c’est une posture non académique mais elle est reposante et n’empêche pas le réflexion

 

Chronique de confinement #2

5 Avr

Je n’imaginais pas en créant ce blog qu’il deviendrait collaboratif et international. Je commence un nouvel opus #2 en continuité du #1

  • Ich hätte mir durch die Erstellung dieses Blogs nicht vorgestellt, dass es kollaborativ und international werden würde
  • Creando questo blog non immaginavo che sarebbe diventato collaborativo e internazionale
  • I did not imagine by creating this blog that it would become collaborative and international

 

#15 Allemagne

Je remercie Thierry Valette qui a permis la mise en contact avec Heike.

Je remercie Heike pour ce témoignage sur son expérience de confinement. Le travail de témoignage, de narration nous permet d’identifier des invariants européens dans la construction de cette forme d’ enseignement qui s’est imposée à nous par effraction. Nous contribuons probablement ainsi à renforcer par le bas une idée de la construction européenne. Merci Heike

Ich danke Heike für das Zeugnis über ihre Isolationserfahrung. Die Arbeit des Zeugen- und Erzählens ermöglicht es uns, europäische Invarianten beim Aufbau dieser Unterrichtsform zu identifizieren, die sich durch Einbruch durchgesetzt hat. Damit tragen wir wahrscheinlich dazu bei, eine Idee des europäischen Aufbauwerks nach unten zu stärken. Danke Heike

Aujourd’hui un témoignage de Heike, directrice d’école en Allemagne.

J’ai 49 ans, j’ai étudié à Koblenz-Rheinland-Pfalz de 1990 à 1994 Enseignant pour l’école primaire et secondaire (Hauptschule). Mes matières étaient l’allemand, l’école primaire et pour 4 semestres l’anglais. 2 ans de stage (Referendariat) à Niederbrombach (1994-1996). Après cela 1,5 année de travail à l’école secondaire (Hauptschule) Birkenfeld (1996-1998). Puis j’ai travaillé pendant 5 ans à l’école primaire de Birkenfeld où j’ai enseigné toutes les disciplines de l’école primaire en plus de l’éducation religieuse (1998-2002). Puis je suis resté à la maison pendant près de cinq ans jusqu’à la naissance de mes deux fils. En 2006/2007, j’ai recommencé à travailler à l’école primaire de Reinsfeld, où j’ai également dirigé des cours et enseigné toutes les matières autres que l’éducation religieuse et la musique. Outre la permission d’enseigner toutes les matières de l’école primaire (qui comprend l’allemand, les mathématiques et Sachunterricht (une sorte de sciences naturelles) et les arts, j’ai la permission d’enseigner

Situer Reinsfeld

le sport, l’anglais et le français.
Depuis 2014, je suis directrice de l’école primaire de Reinsfeld. J’ai travaillé dans différents projets de Comenius et à l’heure actuelle Erasmus+ ainsi qu’à Etwinning. De plus, j’ai participé à différents projets de numérisation à notre école.

Nous sommes une petite école primaire à la campagne dans le sud-ouest de l’Allemagne, près de Trêves, dans le Hunsrück/Hochwald. Près du Luxembourg, de la France et de la Belgique. Il y a 5 classes, 81 élèves et 7 enseignants, dont l’un n’est pas encore à l’école à long terme. Les enfants ont entre 6 et 10/11 ans. Le Collège se compose de 2 à 30 ans, 3 à 40 ans et de la direction de l’école, c’est-à-dire moi-même, dans 50 ans.

Vendredi, avant les fermetures d’écoles, nous avons apporté aux élèves tous les matériels éducatifs analogues dont ils auront besoin dans le temps, en allemand, en mathématiques et en sciences. Pas de vêtements pour la musique, pas d’autres choses, sinon les cartables seraient devenus trop lourds. Les parents ont reçu une lettre justifiant cette mesure en tant que mesure de prévoyance, car, à l’époque, notre Land de Rhénanie-Palatinat (Land de Rhénanie) n’avait pas encore imposé la fermeture obligatoire de l’école. Cela n’a eu lieu que le soir.

Le premier lundi après la fermeture de l’école, nous avons eu une réunion avec tous les enseignants de l’école. Le week-end déjà, tous les enseignants avaient élaboré un plan hebdomadaire pour la semaine prochaine ou les semaines suivantes, comme nous l’avions convenu par nos canaux de communication et déjà oralement le vendredi (signal, e-mail). Ces plans ont été publiés dans le secteur public de notre page d’accueil dimanche soir. Les informations sur les parents provenaient d’un partenariat scolaire (SDUI) que nous utilisons et d’un distributeur de courriers électroniques utilisé bien avant Corona. Tout le week-end, j’ai été en contact étroit avec nos porte-parole des parents d’élèves sous forme numérique. J’ai également vérifié régulièrement notre courrier électronique.

Lundi, au cours de la réunion, nous avons discuté de la marche à suivre au cours des semaines suivantes : des horaires hebdomadaires seront obligatoires en allemand, en mathématiques et en matières, sans feuilles de travail ni utilisation des médias numériques, car nous ne pouvons pas exiger de tous les parents les conditions techniques nécessaires. C’est pourquoi les plans de travail ne sont établis que sur la base des manuels utilisés. Les solutions sont envoyées aux parents par e-mail ou dans la section interne de la page d’accueil. Nous nous sommes opposés à la distribution de documents de travail parce que la collecte aurait été trop onéreuse et que les normes d’hygiène et la prévention des contacts sociaux n’auraient pas pu être garanties.

Tous les plans hebdomadaires sont placés le lundi dans la zone libre de la page d’accueil où un nouvel onglet « Plans de travail » a été créé. Les solutions sont distribuées par e-mail le vendredi et téléchargées dans la zone interne de la page d’accueil ainsi que, dans certains cas, dans l’application SDUI. Les parents sont informés de toutes les informations les concernant par le biais des moyens de communication tels que l’e-mail et l’application SDUI. Nous nous occupons également des groupes Whatsapp, des conseils des parents d’élèves et des délégués des parents de classe, car en tant qu’enseignants, nous sommes interdits ou interdits d’utiliser Whatsapp. n’est pas très bien vu.

Au cours des deux premières semaines, malgré l’existence de nombreuses structures numériques dans notre école, il y avait beaucoup de choses à faire, tant pour la direction de l’école que pour les enseignants de classe. Nous avions déjà les adresses e-mail de presque tous les parents et nous avions déjà envoyé des lettres aux parents par e-mail. Cependant, tous les enseignants ont à nouveau vérifié et demandé toutes les adresses (par application SDUI et par téléphone, dans les cas où aucune réponse n’a été donnée et où tous les parents ont à nouveau communiqué les adresses e-mail de service et communiqué que tous les enseignants peuvent y accéder quotidiennement. Pour nous, les enseignants, nous nous sommes concertés : la communication avec les parents se fait généralement par e-mail. Des appels téléphoniques passés principalement à l’école. Par décision d’ institutrice elles-mêmes aussi à la maison. Exceptions : appels téléphoniques avec les représentants des parents. Si possible, pas de communication à des heures inhabituelles, comme le soir ou le week-end. Pas d’informations sur les parents de notre côté, le week-end ou tard le soir, même pas par e-mail. La question de savoir dans quelle mesure les enseignants répondent aux demandes des parents le soir ou le week-end relève de leur propre décision.

La page d’accueil de notre école (http://www.grundschreinsfeld.de) est régulièrement mise à jour sur la page d’accueil avec des informations sur Covid 19 et la fermeture de l’école (par une collègue qui est aussi la coordinatrice numérique ou par moi-même, mais surtout par elle, parce que j’ai trop d’autres choses à organiser en tant que direction d’école).

Une section interne a été créée sur la page d’accueil.

Organisation du travail et présence des collègues :

Tout le monde travaille à domicile quand il n’est pas nécessaire d’être à l’école. En ce qui concerne les tâches habituelles d’enseignement (élaboration de plans de travail, solutions, communication avec les parents), chacun accomplit différentes tâches à la maison. Il s’agit notamment de la préparation de la journée d’étude prévue et de la semaine du projet Nature, de l’établissement des listes scolaires pour l’année à venir et de la formation au numérique. L’accent est mis sur la salle de classe virtuelle, les vidéoconférences et l’utilisation de la tablette à l’école primaire. Pour le reste, la formation numérique se poursuit en fonction des besoins personnels des enseignants.

Il y a déjà des collègues que sont acculturés et avec expérience en numérique et il y a d’autres  qui se forment efficacement pour élargir leurs connaissances

Toute la semaine, l’école est occupée de 7h30 à 10h. Le répondeur téléphonique est branché, ensuite les messages sont écoutés et les appels traités. L’école est souvent occupée plus longtemps. En règle générale, deux enseignantes sont présentes en même temps et les équipes se sont formées seules.

En tant que directrice de l’école, j’ai été présente pendant trois jours, la plupart du temps jusqu’à 13 heures.

Communication avec les parents et les collègues

La communication se fait essentiellement via l’application SDUI et l’e-mail, ainsi qu’avec nos collègues via le service Messenger Signal. Par téléphone si nécessaire. Le conseil des parents d’élèves et moi-même avons déjà eu une téléconférence initiée par le représentant des parents d’élèves. En outre, la vidéoconférence entre la coordinatrice numérique et moi-même, l’utilisation de Jitsi dans le cadre d’une formation virtuelle, ainsi que pour tester son utilité en tant que salle de classe virtuelle. Utiliser par l’équipe pour se concerter avec le porte-parole des parents d’élèves et traiter un document ensemble.

Communication avec les élèves

La communication avec les élèves se fait via les parents ou par courrier électronique et par carte postale. Aucune réunion virtuelle n’a encore eu lieu et n’est pas prévue pour le moment. Problème : tous les enfants n’ont pas un accès direct aux médias numériques, tous les parents n’ont pas les mêmes ordinateurs ou tablettes et peuvent utiliser des plateformes virtuelles via Whatsapp ou Facebook. La protection des données n’est pas suffisamment claire pour les parents ou les parents de plateformes courantes comme Skype. Jusquà ’il y a peu (avant Covid19), les écoles ne devaient pas emprunter cette solution. L’accessibilité n’est donc pas garantie pour tous les enfants. En outre, il ne serait pas utile, dans la situation actuelle, de fixer un moment précis où les parents doivent s’asseoir avec leurs enfants devant un ordinateur pour communiquer avec l’enseignante, car peu d’élèves de l’école primaire seraient capables de le faire seuls.

Systèmes numériques dans notre école

Pour une école primaire, nous sommes assez bien équipés et nous disposons d’une salle informatique avec 18 postes de travail sur écran et 14 iPads en plus. Toutes les classes utilisent également des TBI dotés d’un logiciel d’ordinateur portable. Nous ne pouvons malheureusement pas encore utiliser notre système informatique MNS+ car la salle informatique n’est pas prévue pour l’accès extérieur et il n’est pas encore possible de l’utiliser, car le serveur n’est pas suffisamment grand en puissance. Les programmes d’apprentissage utilisés à l’école, tels que l’atelier d’apprentissage 9 ou 9. 10 et d’Oriolus Mathematik et Deutsch, nous avons pu offrir aux parents des accès gratuits à domicile. De la même manière que nous pouvons utiliser des solutions basées sur un navigateur comme Hamsterkiste (cours sur les sujets), Sofatutor ou une application nommée Anton pour les enfants et transmettre les informations correspondantes aux parents. Tout cela uniquement en tant que matériel complémentaire et sur une base volontaire.

Comme nous l’avons indiqué plus haut, il n’est pas prévu d’organiser des cours virtuels en raison des difficultés d’organisation.

La page d’accueil est dotée de nombreux conseils pour les parents dans les domaines public et interne. Certaines collègues ont réalisé des vidéos explicatives et les ont téléchargées dans le secteur interne. Des trajets photos ont également été réalisés pour les parents ou les élèves.  D’autres documents sont téléchargés dans le cloud de l’application SDUI.

Nous continuons à travailler à la recherche d’une solution qui pourrait être utile aux élèves eux-mêmes. La difficulté réside soit dans la mise à niveau du serveur scolaire, soit dans le fait que les services du cloud disponibles dans le domaine de l’éducation en Allemagne sont totalement surchargés et donc mal utilisés à l’heure actuelle.

Texte dans la langue originelle

Wir sind eine kleine Grundschule auf dem Land im Südwesten von Deutschland, in der Nähe von Trier, im Hunsrück/Hochwald. Nahe an Luxemburg, Frankreich und Belgien. Es gibt 5 Klassen, 81 Schüler und 7 Lehrerinnen, davon eine zur Zeit langfristig nicht in der Schule. Die Kinder sind im Alter von 6-10/11 Jahren. Das Kollegium besteht aus 2 Kolleginnen bis 30 Jahren, 3 Kolleginnen um die 40 Jahre und der Schulleitung, also mir, demnächst 50 Jahre.
Wir haben am Freitag vor den Schulschließungen den Schülern alle analogen Unterrichtsmaterialien mit nach Hause gegeben, die sie in der Zeit brauchen werden, Deutsch und Mathematik sowie Sachunterricht. Keine Sachen für Musik, und keine weiteren Dinge, weil sonst die Schulranzen zu schwer geworden wären. Die Eltern haben einen Brief erhalten, in dem diese Maßnahme begründet wurde als vorausschauende Maßnahme, weil zu dem Zeitpunkt für unser Bundesland (Rheinland-Pfalz) noch keine verbindliche Schulschließung angeordnet war. Dies erfolgte erst abends.
Am ersten Montag nach der Schulschließung hatten wir eine Besprechung mit allen Lehrerinnen vor Ort in der Schule. Bereits am Wochenende hatten alle Lehrer einen Wochenplan erstellt für die kommende Woche oder Wochen, so wie wir es über unsere Kommunikationswege und auch am Freitag schon mündlich (Signal, E-Mail) vereinbart hatten. Diese Pläne wurden im öffentlichen Bereich unserer Homepage am Sonntagabend veröffentlicht. Die Informationen über die Eltern ergingen über eine Schulapp (SDUI) die wir nutzen sowie über einen schon lange vor Corona genutzten E-Mail-Verteiler. Das ganze Wochenende über stand ich in engem Kontakt mit unseren Schulelternsprechern in digitaler Form. Ebenso habe ich regelmäßig unsere elektronische Dienstpost überprüft.

Am Montag in der Besprechung haben wir dann die Vorgehensweise in den folgenden Wochen besprochen: Wochenpläne werden in Deutsch, Mathematik und Sachunterricht, keine Arbeitsblätter und Nutzung digitaler Medien verpflichtend, da wir nicht bei allen Eltern die entsprechenden technischen Voraussetzungen voraussetzen können. Daher die Erstellung der Arbeitspläne nur auf Basis der eingesetzten Lehrwerke. Die Lösungen werden den Eltern per E-Mail oder internen Bereich der Homepage zugestellt. Wir haben uns gegen die Verteilung von Arbeitsblättern entschieden, weil die Abholung zu aufwendig gewesen wäre und die hygienischen Standards sowie die Vermeidung von Sozialkontakten nicht garantiert hätten werden können.
Alle Wochenpläne werden montags in den frei zugänglichen Bereich der Homepage eingestellt, wo ein neuer Reiter « Arbeitspläne » erstellt wurde. Lösungen werden am Freitag per E-Mail verteilt und in den internen Bereich der Homepage hochgeladen sowie teilweise auch über die SDUI-App verteilt. Die Eltern werden über die Kommunikationswege E-Mail und SDUI-App über alle sie betreffenden Informationen informiert. Ebenso über Whatsapp-Gruppen, die Schulelternbeirat sowie Klassenelternsprecher pflegen, da uns in Deutschland als Lehrer die Nutzung von Whatsapp untersagt bzw. nicht gerne gesehen ist.

In den ersten beiden Wochen gab es trotz an unserer Schule vieler bereits vorhandener digitaler Strukturen viele Dinge sowohl für Schulleitung als auch für Klassenlehrer zu erledigen. Wir hatten schon die E-Mailadressen nahezu aller Eltern, und auch zuvor schon Elternbriefe per E-Mail zugestellt. Allerdings haben alle Klassenlehrer nun noch einmal alle Adressen überprüft und angefordert (per SDUI-App sowie telefonisch, in Fällen, in denen keine Rückmeldung erfolgte und allen Eltern die dienstlichen E-Mailadressen erneut mitgeteilt und kommuniziert, dass alle Lehrer darüber täglich erreichbar sind. Für uns Lehrer selbst haben wir Absprachen getroffen: Kommunikation mit den Eltern findet generell per E-Mail statt. Telefonate in der Hauptsache vom Schultelefon ausgehend. Von zu Hause aus nach Entscheidung der jeweiligen Lehrer.. Ausnahmen: Telefonate mit Elternvertretern. Nach Möglichkeit keine Kommunikation zu ungewohnten Zeiten wie abends oder am Wochenende. Keine Elterninformationen von unserer Seite aus am Wochenende oder späten Abend, auch nicht per E-Mail. Inwiefern Lehrer Elternanfragen abends oder am Wochenende beantworten obliegt wie sonst auch ihrer eigenen Entscheidung.
Die Homepage unserer Schule (www.grundschule-reinsfeld.de) wurde auf der Eingangsseite mit Hinweisen zu Covid 19 und der Schulschließung versehen und wird entsprechend regelmäßig aktualisiert (von einer Kollegin, die auch die digitale Koordinatorin ist oder von mir, in der Hauptsache jedoch von ihr, weil ich zu viele andere Dinge als Schulleitung zu organisieren habe).
Ein interner Bereich in der Homepage wurde angelegt.

Organisation der Arbeit und Anwesenheit der Kollegen:

Alle machen Homeoffice, wenn sie nicht an der Schule anwesend sein müssen. Zu den normalen Aufgaben des Unterrichts (Erstellen von Arbeitsplänen, Lösungen, Kommunikation mit Eltern) erledigt jeder zu Hause verschiedene Aufgaben. Dazu zählen die Vorbereitung des vorgesehenen Studientages und der Projektwoche Natur, Schulbuchlisten für das kommende Schuljahr erstellen sowie Fortbildung in digitalen Bereichen. Dabei Schwerpunkt Virtuelles Klassenzimmer, Videokonferenzen und Einsatz des Tablets in der Grundschule. Ansonsten entsprechend dem individuellen Stand der jeweiligen Lehrer weitere digitale Fortbildung. Es gibt schon Kolleginnen mit einer großen Erfahrung im digitalen Bereich. Und andere arbeiten mit Nachdruck und Bereitschaft daran ihre Kenntnisse zu erweitern..
Die ganze Woche über ist die Schule in der Zeit von etwa 7.30 Uhr-10 Uhr vor Ort besetzt. Anrufbeantworter ist geschaltet und wird dann abgehört, Telefonate entgegengenommen. Oft ist die Schule auch länger besetzt. In der Regel sind zwei Lehrerinnen zur gleichen Zeit anwesend, die Teams haben sich selbst gebildet.
Ich als Schulleitung bin an jeweils drei Tagen anwesend gewesen, dann meistens bis 13 Uhr.

Kommunikation mit Eltern und Kollegen

Die Kommunikation erfolgt im Wesentlichen über SDUI-App und E-Mail, zu den Kollegen auch über den Messengerdienst Signal. Bei Bedarf entsprechend telefonisch. Ich und der Schulelternbeirat hatten auch schon eine Telefonkonferenz, die der Schulelternsprecher initiiert hatte. Außerdem Videokonferenz zwischen der digitalen Koordinatorin und mir, Nutzung von Jitsi, als ein Bestandteil einer virtuellen Fortbildung sowie zum Testen, inwiefern es als virtuelles Klassenzimmer nutzbar sein kann. Nutzung von TeamViewer um Absprachen mit dem Schulelternsprecher treffen zu können und ein Dokument gemeinsam bearbeiten zu können.

Kommunikation mit den Schülern

Die Kommunikation mit den Schülern findet über die Eltern statt oder auf schriftlichem Wege per E-Mail und Postkarte. Virtuelle Treffen haben noch keine stattgefunden und sind vorerst auch nicht fix geplant. Problem: nicht alle Kinder haben direkten Zugang zu digitalen Medien, nicht alle Eltern sind gleich ausgestattet mit Computern oder Tablet und können über Whatsapp oder Facebook hinaus virtuelle Plattformen nutzen. Bei Eltern womöglich gängigen Plattformen wie Skype ist der Datenschutz nicht hinreichend geklärt bzw. war bis vor kurzem( vor Covid19) noch die Regelung, dass Schulen diesen Weg nicht nutzen sollen. Insofern ist die Erreichbarkeit nicht aller Kinder gewährleistet. Zudem wäre es in der momentanen Situation nicht hilfreich, einen festen Zeitpunkt vorzugeben, zu dem die Eltern mit ihren Kindern sich vor einen Computer setzen müssen, um mit der Lehrerin zu kommunizieren, da die wenigsten Grundschüler alleine dazu in der Lage wären.

Digitale Systeme an unserer Schule

Für eine Grundschule sind wir recht gut ausgestattet und verfügen über einen Computerraum mit 18 Bildschirmarbeitsplätzen und außerdem 14 iPads. Alle Klassen arbeiten auch mit digitalen Whiteboards mit Smart-Notebook-Software. Unser Computersystem MNS+ können wir leider noch nicht nutzen, weil der Computerraum nicht für den Außenzugriff vorgesehen ist und auch noch keine Cloudnutzung möglich ist, weil der Server nicht ausreichend groß dimensioniert ist von der Leistung. Die in der Schule genutzten Lernprogramme wie Lernwerkstatt 9 bzw. 10 und Oriolus Mathematik und Deutsch konnten wir den Eltern durch zur Zeit kostenfreie Zugänge Zuhause zugänglich machen. Ebenso wie wir browserbasierte Lösungen wie Hamsterkiste (Sachunterricht), Sofatutor oder eine App namens Anton für die Kinder nutzen können und den Eltern entsprechend Informationen zukommen lassen. Dies alles jedoch nur als Zusatzmaterialien und auf freiwilliger Basis.
Wie weiter oben schon erwähnt, ist vorerst nicht geplant aufgrund der organisatorischen Schwierigkeiten virtuellen Unterricht durchzuführen.
Die Homepage ist im öffentlichen sowie internen Bereich mit vielen Tipps für die Eltern versehen. Einzelne Kolleginnen haben Erklärvideos erstellt und entweder in dem internen Bereich hochgeladen. Ebenso wurden Fotostrecken als Handreichung für Eltern oder Schüler erstellt. In der Cloud von der SDUI-App sind weitere Dokumente hochgeladen.
Wir arbeiten weiterhin daran, eine Cloudlösung zu finden, die womöglich für die Schüler selbst nutzbar sein könnte. Schwierigkeiten liegen entweder darin, den schulischen Server entsprechend aufzurüsten oder der Tatsache, dass in Deutschland im Bildungsbereich verfügbare Cloud-Dienste vollkommen überlastet und daher zur Zeit ohnehin schlecht nutzbar.

#19 Italie / Italia

Une contribution reçue par courriel en provenance d’Italie. Une annalyse juridique ancienne mais qui prend tout son sens pendant cette période de crise sanitaire.

Maria Cristina Grazioli

La dirigente Istituito Tecnico Commerciale e per Geometri (ITCG) A Baggi di Sassuolo – Modena

Enseignement à distance en ITALIE pendant la période COVID: un devoir de solidarité sociale pendant la période de suspension des obligations de service des enseignants

Nous partons d’une question simple et à certains égards complexe: l’analyse de la relation essentielle entre la charte constitutionnelle italienne et le service éducatif scolaire.

Le fait que l’École, entendue comme «droit à l’éducation», est protégé par la Constitution, est connu de tous. Mais cette affirmation ne suffit pas pour saisir l’essentiel de la protection essentielle qu’offre la règle constitutionnelle. Il est nécessaire d’approfondir le sujet en termes plus spécifiques, en soulignant ce que l’on entend par DROIT et quelle valeur a le DROIT À L’ÉDUCATION aujourd’hui.

Des questions préalables capables de mettre en lumière le domaine d’analyse du droit à l’éducation sont donc nécessaires, identifiant les frontières qui le délimitent.

La question préalable que nous devons nous poser concerne l’identité structurante des Droits.

Peut-on penser qu’il n’y a que des droits illimités?

Ou les droits – pour être ainsi – ne sont-ils limités qu’objectivement et subjectivement?

N’est-il pas vrai que l’idée même de «droit» renvoie à une discipline qui, par sa nature même, définit et circonscrit «l’exerçabilité» d’un ou plusieurs sujets?

Et le «devoir d’éducation» – sanctionné par la charte constitutionnelle italienne – est-il symptomatique d’un droit quantifiable et juridiquement admissible?

Essayons donc de donner des réponses qui recherchent de la substance dans le sens général du système juridique italien.

Obligations de solidarité dans la Constitution italienne

Il convient de considérer que l’enseignement obligatoire et gratuit, conformément au diktat constitutionnel, régi par l’article 34, a à voir avec les devoirs de solidarité sociale qui sont à la base de notre loi fondamentale; cette hypothèse peut nous guider quant au sens obligatoire de l’administration du « service d’éducation et de formation ». Nous sommes confrontés à un article qui – avec d’autres normes – représente une disposition constitutionnelle claire des « devoirs de solidarité ».

C’est en effet dans la relation entre droits et devoirs constitutionnels que nous voyons un «point de chute», représenté, d’une part, par la liberté de l’individu et, d’autre part, par les devoirs de solidarité. L’article 2 de la Constitution nous redonne le sens et la valeur des droits de solidarité, en les considérant comme des principes fondamentaux du système. En droit, la SOLIDARITÉ est qualifiée et ancrée dans des sujets spécifiques; en fait elle n’existe pas dans l’abstrait au niveau des idées, mais se décline dans la réalité quotidienne, à travers l’instrument de la discipline juridique.

Si, par conséquent, le concept de « solidarité » évoque l’établissement de liens de groupe, il est vrai qu’il se distancie du concept le plus ancien de « fraternité », ce dernier de descendance éthique-morale et historiquement inscrit dans la trilogie idéologique née avec la Révolution. Français. Le concept de fraternité reprend la construction sociale basée sur le contrat de genre: la famille. La solidarité va plus loin: elle entre dans l’échange d’idées de «relation», mais ne s’arrête pas à l’élément identitaire. Dans la relation juridique, en effet, un changement continu entre les sujets et entre les positions qu’ils occupent est autorisé.

Les relations spécifiques, dans lesquelles le devoir de solidarité prend forme, sont liées au principe personnaliste de «l’égalité substantielle», tel qu’exprimé à l’article 3 de la Constitution; en effet, il n’y a pas de solidarité sans égalité effective et réalisable par chaque personne humaine, à tous les niveaux de la vie sociale. Cela dit, il convient d’ajouter que, dans le système de solidarité défini par la constitution, nous sommes confrontés à une agrégation de droits découlant de principes communs, que la communauté des associés considère comme essentielle.

Plutôt qu’un « système de solidarité », il est peut-être plus juste de parler d’un « système de devoirs de solidarité »: dans le premier cas, il s’agit d’un type de solidarité spontanée avec un phénomène factuel, que le système juridique peut choisir de protéger ou non. Dans le second cas – où les devoirs définissent les limites de l’impératif de solidarité sociale – il appartient à l’autorité étatique de médier avec la communauté, de sorte qu’elle est poussée à adopter des comportements solidaires.

C’est ainsi que le devoir d’enseignement primaire, visé à l’article 34 de la Constitution, représente également un devoir de contribuer au progrès de l’ensemble du groupe.

En particulier, l’action sociale, très différente de l’intérêt individualiste, peut parfois coïncider avec cela, si les positions réciproques coïncident à certains égards.

La «solidarité» positive se caractérise par la réciprocité de l’individu qui «se lie» au groupe; donc dans le devoir d’éducation qui conditionne la gratuité, l’obligation s’accompagne d’une forme importante de soutien qui permet à chacun de fréquenter sans distinction les écoles obligatoires de la République.

Dans le système de solidarité à matrice constitutionnelle, il est très important de renouveler l’attention sur le critère de proportionnalité, tant du point de vue des moyens destinés à la finalité à atteindre que du point de vue de l’agent de solidarité qui exerce un devoir à la mesure de la possibilité.

La solidarité est donc la construction d’une relation où l’agent de solidarité l’attribue à travers un groupe et, une telle pluralité, se comporte comme une unité, à tel point que chaque membre du groupe est responsable de la satisfaction des autres.

Ceux qui reçoivent des actions solidaires dans les conditions décrites ci-dessus, en tant que bénéficiaires, sont soumis au jus, c’est-à-dire qu’ils sont titulaires d’un droit.

Loin des notions d’assistance et de charité, la solidarité comme jus est qualifiée de responsabilité de l’agent solidaire et de qualification de la relation de besoin du bénéficiaire.

Mariacristina Grazioli 2012, Edscuola.it tratto da La Scuola e i doveri di solidarietà della Costituzione

# En Italien – In italiano

Grazie ai docenti che hanno saputo rendere fattivo il diritto costituzionale all’istruzione

Video meeting docenti coordinatori biennio 3 aprile 2020

Partiamo da un interrogativo semplice e per certi versi complesso: l’analisi del rapporto essenziale tra la carta costituzionale italiana e il servizio scolastico di erogazione dell’istruzione.

Che la Scuola, intesa come “diritto all’istruzione”, sia costituzionalmente protetta, è noto a tutti.

Ma non basta questa asserzione per cogliere il nucleo di tutela essenziale che prevede la norma costituzionale. Occorre approfondire l’argomento in termini più specifici, delineando cosa si intenda per DIRITTO e quale valore abbia oggi il DIRITTO ALL’ISTRUZIONE.

Sono pertanto necessarie domande preliminari capaci di portare alla luce l’area di analisi del diritto all’istruzione, individuandone i confini che lo delimitano.

La domanda preliminare che ci dobbiamo porre riguarda infatti l’identità strutturante dei Diritti.

E’ possibile pensare che esistano solo diritti illimitati?

O piuttosto i diritti – per essere tali – sono solo limitati oggettivamente e soggettivamente?

Non è forse vero che proprio l’idea stessa di “diritto” rimanda ad una disciplina che, per sua stessa natura, ne delimita e ne circoscrive” l’esercitabilità “in capo ad uno o più soggetti?

E il “dovere di istruzione” – sancito dalla carta costituzionale italiana – è sintomatico di un diritto quantificabile e qualificabile giuridicamente?

Proviamo allora dare qualche risposta, che cerchi sostanza nel senso complessivo del sistema giuridico italiano.

I doveri di solidarietà nella Costituzione italiana

Occorre pensare che l’istruzione obbligatoria e gratuita, ai sensi del dettato costituzionale, disciplinato dall’articolo 34, ha a che fare con i doveri di solidarietà sociale posti a fondamento della nostra legge fondamentale; tale assunto ci può orientare rispetto al significato cogente della somministrazione del “servizio di istruzione e formazione”. Siamo di fronte ad un articolo che – insieme ad altre norme – rappresenta una chiara disposizione costituzionale dei “doveri di solidarietà”.

E’, in effetti, nel rapporto tra diritti e doveri costituzionali che assistiamo ad un “punto di caduta”, rappresentato, da una parte, dalla libertà del singolo e, dall’altra, dai doveri di solidarietà. L’articolo 2 della Costituzione ci restituisce il significato ed il valore dei diritti di solidarietà, assumendoli come principi fondamentali dell’ordinamento. Nella legge, la SOLIDARIETA’ è qualificata e radicata in soggetti specifici; in effetti non esiste in astratto sul piano delle idee, ma è declinata nella realtà quotidiana, attraverso lo strumento delle disciplina giuridica.

Se, dunque il concetto di “solidarietà” evoca la costituzione di legami di gruppo, è pur vero che si distanza dal più antico concetto di “fraternità”, quest’ultimo di discendenza etico-morale e storicamente collocabile nella trilogia ideologica nata con la Rivoluzione francese. Il concetto di fraternità riprende la costruzione sociale basata sul contratto di genere: la famiglia. La solidarietà va oltre: entra nell’ambio della idee di “relazione”, ma non si ferma all’elemento identitario. Nella relazione giuridica in effetti è ammesso un continuo cambiamento tra i soggetti e tra le posizioni da essi assunte.

I rapporti specifici, in cui si concretizza il dovere di solidarietà, è collegato al principio personalista della “uguaglianza sostanziale”, così come espresso dall’articolo 3 della Costituzione; in effetti non vi è solidarietà senza uguaglianza effettiva e perseguibile da ciascuna persona umana, su tutti i piani della vita sociale. Detto questo, va aggiunto che, nel sistema della solidarietà delineato dal dettato costituzionale, siamo di fronte ad un agglomerato di diritti che derivano da principi comuni, che la collettività dei consociati ritiene essenziali.

Più che un “sistema della solidarietà” è forse più corretto parlare di un “sistema dei doveri di solidarietà”: nel primo caso si tratta di un tipo di solidarietà spontaneistica a fenomeno fattuale, che l’ordinamento giuridico può scegliere di tutelare o meno. Nel secondo caso- ove i doveri definiscono i confini dell’imperativo di solidarietà sociale- spetta all’autorità statale mediare con la collettività, affinché essa sia spinta ad adottare comportamenti solidali.

E’ così che il dovere di istruzione primaria, di cui all’articolo 34 della Costituzione, rappresenta anche un dovere di concorrere al progresso di tutto il gruppo.

In particolare l’agire sociale, ben diverso dell’interesse individualistico, può talvolta coincidere con questo, qualora le reciproche posizioni coincidono per determinate modalità.

La “solidarietà” in positivo è caratterizzata da reciprocità dell’individuo che si “lega ” al gruppo; pertanto nel dovere di istruzione che determina la gratuità dell’accesso, l’obbligo si affianca ad una forma di sostegno importante che consente a tutti indistintamente di frequentare le scuole dell’obbligo della Repubblica.

Nel sistema della solidarietà di matrice costituzionale è assai importante rinnovare l’attenzione sul criterio della proporzionalità, sia dal punto di vista dei mezzi destinati allo scopo da raggiungere, sia dal punto di vista dell’agente solidale che esercita un dovere commisurato alla possibilità.

La solidarietà è dunque la costruzione di una relazione ove l’agente solidale la attribuisce attraverso un gruppo e, tale pluralità, si comporta come una unità, tanto che ciascun membro del gruppo è responsabile della soddisfazione altrui.

Chi riceve azioni solidali nei termini sopra descritti, in quanto beneficiario, è soggetto di jus, cioè è portatore di un diritto.

Ben lontana dai concetti di assistenza e carità, la solidarietà come jus è qualificata come responsabilità dell’agente solidale e come qualificazione del rapporto del bisogno del beneficiario.

Mariacristina Grazioli 2012, Edscuola.it tratto da La Scuola e i doveri di solidarietà della Costituzione

 

Chronique de confinement #1

18 Mar
#confinement
 

Une belle image pour une maladie affreuse


« Les coronavirus sont des virus à ARN fréquents, de la famille des Coronaviridae, qui sont responsables d’infections digestives et respiratoires chez l’Homme et l’animal. Le virus doit son nom à l’apparence de ses particules virales, portant des excroissances qui évoquent une couronne. Les virions, qui sont constitués d’une capside recouverte d’une enveloppe, mesurent 80 à 150 nm de diamètre. Les petites sphères contiennent un acide ribonucléique (ARN) monocaténaire (avec une seule chaîne), linéaire (non-segmenté) et positif, comptabilisant 27 à 32 kilobases. Cet ARN se réplique dans le cytoplasme de la cellule infectée.« 
 
Une définition scientifique qui, il y a encore quelques semaines,  m’était totalement étrangère et qui n’avait pas place sous ces lignes consacrées à la pédagogie et à la formation en ligne.
 
Et pourtant … La crise sanitaire que nous vivons depuis quelques temps et le confinement qui en est la conséquence me ramène involontairement à mes sujets de prédilection – Le travail en ligne.
 
Une période exceptionnelle pendant laquelle le domicile devient un objet mixte. Il est à la fois lieu de vie et lieu de travail. C’est une période où nous aurons à inventer une autre façon de vivre et une autre façon de travailler et à conjuguer un lieu unique pour combiner sa vie personnelle et sa vie professionnelle. Il faudra inventer la cartographie sociale de la vie confinée. Elle consistera à aménager des temps incompatibles. La webcam de la visioconférence risque de devenir l’arbitre des temps de vie privée et de vie publique.
 
C’est donc un temps exceptionnel d’observation et d’analyse qui restera certainement inscrit dans nos mémoires. Il est important de conserver des traces de cette période unique. Il en ressortira soit une vision nouvelle de l’enseignement en ligne, de la dématérialisation, soit une aversion encore plus forte. Il sera de notre rôle de travailler à des constructions pensées. Il nous faudra imaginer des dispositifs où l’humain sera la priorité plus que les constructions simplement instrumentées. La machine n’est pas l’alpha et l’oméga de la distance. l’ingénierie sociale sera le point central des dispositifs de formation en ligne car il faudra aider, rassurer, conseiller, tutorer. Au-delà des machines l’Homme.
 
Pour toutes ces raisons je vais tenir ma chronique de confinement et de travail à distance. Même si cette période est subie (mais avec la certitude de participer à l’effort d’endiguement du virus) elle sera forcément riche en expériences et en analyses.
 
Je vais en profiter pour relire « chez soi » de Mona Cholet. D’ailleurs je constate que les Inrocks ont eu le même réflexe
 
#jour 1
 
En ce qui me concerne le télétravail n’est pas une nouveauté, je le pratique et je l’intellectualise depuis de nombreuses années. La question de l’aménagement de mon bureau n’a pas été un sujet de réflexion. Le cadre était posé depuis longtemps. La grève de la SNCF de novembre m’avait déjà initié au temps long du télétravail car faute de train j’avais déjà travaillé à distance pendant une semaine.
La question centrale pendant cette période sera de penser ce lieu, de l’investir, de gérer sa géographie notamment lorsqu’il est petit et / ou poly-occupé.
 
Mes prochains jours vont se passer ici, lieux réel et virtuel d’interactions professionnelles.
 
Le télétravail va nous amener à organiser l’espace appartement /maison. Il va (il a) changé(r) de statut car il est (sera) à la fois espace de vie et espace de travail. Ce blog avait largement engagé la réflexion sur ce point.
 
La technique aura une place importante dans ce nouveau dispositif de vie. J’ai analysé à nouveau la structure technologique de mon espace privé. Nous sommes désormais deux à télétravailler, autant de réflexion à mener sur les modalités de connexion des divers appareils.
Je me félicite d’avoir mené en amont quelques réflexions sur l’écosystème technologique de l’espace personnel.
 
#Jour 2
 
#Dress code
 

Dress code télétravail

 
Il faudra apprendre à organiser les nouveaux rythmes de vie. De sa chambre à son bureau il y a peu. La tentation du pyjama est grande, une transgression qui ne dit pas son nom. La porte palière tient un grand rôle dans la vie réelle. Elle est le marqueur entre la vie personnelle et la vie professionnelle. La franchir c’est changer de statut. Pendant une période indéterminée nous allons rester en deçà de cette huis arbitre des rôles sociaux. Il faudra être rigoureux sur cette « hygiène vestimentaire« .
Passée la seconde journée et le temps de transgression agréable, j’ai été remis dans les rails grâce (à cause) des réunions en visio. Il est hors de question d’apparaître hirsute et mal rasé.
 
 
#Jour 3
 
Les bouchons ont fortement diminué sur les périphériques, la presse en témoigne :
« Seulement 5 km de bouchons, contre environ 300 km en moyenne, étaient enregistrés mardi autour de 8 h 30 sur les routes d’Ile-de-France, selon le site d’information routière Sytadin. » Source site 20 minutes – https://www.20minutes.fr

Ils n’ont pas disparu pour autant, ils se sont simplement déplacés. Ils sont maintenant sur les réseaux. Le lève-tôt que je suis travaille de façon très fluide les matins. Les réseaux sont désertés mais à partir des heures de télétravail (on ne dit plus heures de bureaux) les communications deviennent plus compliquées – Ralentissement, site non accessibles.

Ce phénomène semble général au niveau français en ce début de confinement. Le début de télétravail de mon épouse a été un peu chaotique, causé par une saturation du réseau. Toutes les institutions s’adaptent et se configurent dans une situation que nous n’avions pas imaginé aussi massive et je pense aussi longue. Les réseaux doivent s’adapter au contexte de crise, j’imagine aisément le travail qui incombe aux DSI des diverses institutions.

Malgré cela je trouve que les systèmes sont plastiques et s’adaptent plutôt bien car il est globalement assez facile de travailler dans ce contexte de crise.

#Les interactions sociales.

En ce troisième jour de travail distant je n’ai pas une perception d’isolement social. Les groupes ont très rapidement adapté les modes de communication. Les interactions sont multicanaux. Listons :

Le mail – A cet instant j’ai le sentiment qu’il est le grand perdant. Mes flux se sont grandement ralentis

Whats’app – il est très actif, les communications fusent dans les divers groupes auxquels nous sommes abonnés.

Twitter – Pour la communication de masse. Il est très actif et j’ai le sentiment qu’il est la porte ouverte sur la vie de groupe, le lieu de lien entre les individus isolés dans leur domicile et l’institution.

– La visio-conférence – C’est l’outil professionnel du moment. Elle permet de travailler sans trop perdre en interaction. Là où je conseillais

Classe virtuelle – Les essentiels

en d’autres temps de supprimer la webcam (elle est gourmande en bande passante), je m’aperçois qu’elle est nécessaire. Ce jour j’ai entendu « ça fait plaisir de se voir« .

Elle est par contre extrêmement fatiguante. Passer plusieurs heures en visio-conférence nécessite un effort cognitif très important (bien plus qu’en réel). La machine étant la médiatrice des interactions sociales on s’aperçoit très vite des inconvénients – La micro-casque peut blesser. En fin de journée l’utilisateur peut avoir mal aux oreilles à cause des frottements.

Par contre … l’usage intense est une forme de pédagogie extrêmement efficace. En situation normale j’avais du mal à avoir un groupe complet équipé de micro-casque / écouteurs. Depuis tout le monde est équipé, j’imagine que deux heures de larsen est une expérience que l’on ne souhaite subir qu’une fois.

#Jour 4

#les routines

Les routines s’installent vite. Le travail de groupe à distance s’est vite ajusté. Le groupe a pris ses habitudes en remplissant son agenda pro pour signifier les activités. Je ne sais si c’est la nouveauté du principe, le besoin de passer du modèle présentiel hybride au modèle distanciel complet  mais nous sommes dans une sur-activité épuisante.
Le télétravail à haute dose se traduit par des effets corporels. Le soir l’oreille est irritée, le sentiment qu’elle a triplé de volume, le pavillon est douloureux. Un nouveau symptôme la « distancite aigüe » ?
La visio s’est vite imposée comme l’espace de travail privilégié même si les communications sont multicanaux (Mail, What’s app, téléphone). Les codes sociaux semblent se transformer. Certes nous sommes au début de cette période mais chaque début de visio commence immuablement par un « je suis content de vous voir« . Nous le sommes aussi lorsque nous sommes au travail mais ce n’est jamais personnalisé de la sorte. La place de l’image semble être très importante, elle atténue la rudesse des réseaux. Il est fort probable que cela renvoie à la définition d’avatar « Une incarnation (sous forme d’animaux, d’humains, etc.) d’un dieu, venu sur terre pour rétablir le dharma, sauver les mondes du désordre cosmique engendré par les ennemis des dieux. Généralement les avatars sont ceux du dieu Vishnu, fils de la déesse Ahiṃsā et du dieu Dharma.  » Source wikipédia.

D’une certaine façon chaque jour nous redonnons corps en entrant dans les réseaux, la webcam nous redonne vie au-delà des enchainements de codes fait de 0 et de 1.

#l’humour

 

Il prend une place très importante dans la vie numérique du groupe. Alors même, je l’ai souligné, que le travail est dense l’humour est très présent. Il se manifeste par l’envoi de blagues, d’images humoristiques plus ou moins potaches qui font la plupart du temps allusion à la crise que nous vivons. Une façon probable d’exorciser ce qui nous angoisse. 

Autour de moi les équipes en ligne, quelque soit le secteur d’activité, agissent de la même façon, l’humour remède aux angoisses non exprimées ?

#international

Ce que nous sommes en train de vivre est une pandémie « Une pandémie (du grec ancien πᾶν / pãn « tous », et δῆμος / dễmos « peuple ») est une épidémie présente sur une large zone géographique internationale » – Source wikipédia

 

. Il serait intéressant de savoir comment nos collègues chef d’établissement transalpins vivent, organisent cet instant. J’ai contacté mes collègues italiens afin qu’ils puissent témoigner ici de leur vécu professionnel. Ils sont d’accord (j’ai l’accord de principes de deux collègues). Dans quelques jours ce blog sera égayé par la langue de Dante (et sera traduit pour les non italianisant).

Bonne journée.

 

Jour 5 #Semaine 1

La première semaine de télétravail s’achève. Nous sommes passés du jour au lendemain sans transition d’une réflexion sur l’hybridation à celle de la dématérialisation totale.

 

Nous avons passé une semaine particulièrement active faite de travail de conception et de réunions en ligne. Une semaine épuisante.

Le chantier à venir pour les semaines à venir sera de développer une ingénierie sociale dans les dispositifs de formation en ligne. J’entends par là aller au-delà de la simple mise en ligne des contenus en ligne. il faudra penser la façon dont sera déployé le tutorat en ligne, la capacité à donner des signes de présence à distance, à lutter contre le sentiment de solitude numérique. Il faudra accompagner de façon forte nos stagiaires.

Un concept a émergé cette semaine, très rapidement, soudainement, le « monde d’avant » et le « monde d’après« . On peut le lire dans une quantité impressionnante d’articles, de billets, de chroniques radios, dans les conversations quotidiennes. Une semaine de confinement et les usages et pratiques de l’avant covid semblent déjà loin. Ces postures me surprennent et me questionnent sur ce basculement que je n’avais jamais observé. A suivre …

Une forme d’émergence spontanée qui inscrit dans l’esprit des gens que cet évènement va laisser des traces fortes. Il faudra prendre le temps de l’analyse, qu’en sera t-il pour l’enseignement en ligne ? Il faudra prendre le temps de l’analyse sur le court, le moyen et le long terme.

J’attends cette semaine les contributions de mes collègues chefs d’établissement italiens qui sont confinés depuis un mois. Il y aura aussi une contribution d’un collègue chef d’établissement Canadien de l’État de l’Ontario (eux aussi confinés)

#Jour 6

« La pandémie est mondiale, les enjeux de formation et d’accompagnement des élèves semblent produire des invariants. Un témoignage de René Gaudreau de l’Ontario (CA) – Le vendredi 20 mars 2020

 

Le jeudi 12 mars 2020 sera une date qui restera gravée dans la mémoire collective des pédagogues de l’Ontario. C’est en cette journée, à 16h que les médias ont annoncé que les écoles ontariennes seraient fermées jusqu’au 6 avril, comme mesure préventive de la propagation du virus Covid-19. Au début, je croyais que c’était une blague. Hélas, ce n’était pas le cas.
Les écoles sont fermées à TOUS et les écoles qui hébergent des garderies (des crèches) doivent également interrompre le service de garde. Tous les examens provinciaux, qu’ils soient nécessaires à la diplomation ou non, sont annulés. Les concierges passent plusieurs jours à désinfecter toutes les surfaces de l’école pour notre retour éventuel.
 
Le prochain 24 heures fut un bouleversement d’émotions et de questions pour moi en tant que directeur d’école. Comme mes collègues chefs d’établissement, nous avions très peu de réponses aux questions. La semaine suivante était réservée au congé d’hiver. Ce qui est normalement un moment de plaisir, de joie, de voyage, est devenu un départ de l’école angoissé, stressant pour les élèves et le personnel qui ne savaient pas trop à quoi s’attendre.
 
Depuis ce temps, il y a eu très peu de conversations au sujet de la continuité pédagogique. Le Ministre a dit qu’une directive à ce sujet serait à venir. En effet, un point de presse est prévu pour cet après-midi. Le personnel scolaire est avisé de demeurer disponible en tout temps de vérifier leur courriel de façon régulière.
 
Au niveau d’isolation sociale, la communauté est mixte. Plusieurs personnes font leur épicerie sans pour autant se soucier des autres autour d’eux. Mes enfants reçoivent des invitations à se rassembler avec d’autres (non merci!). Il ne semble pas y avoir de sentiment d’urgence dans ma ville. Ce matin, on annonce le premier cas de Covid-19 donc je présume que les précautions vont s’intensifier. Déjà les gens font des achats de panique. Les étagères à l’épicerie sont vides.
 
Donc, ce papa est à la maison avec les deux enfants pendant que leur mère travaille à la bibliothèque municipale (qui est fermée au public). Nous passons nos journées à faire de la cuisson, écouter des émissions éducatives à la télé et sur le iPad. En après-midi, c’est la randonnée en nature, souvent en raquettes, dans la forêt et loin de tout autres humains. D’ailleurs, cette semaine c’est congé pour moi et pour eux donc nous tentons de faire des choses plus ludiques et plaisantes.
Dès lundi, on commencera des travaux plus pédagogiques. Avec mon garçon de 4 ans, on travaillera la reconnaissance des chiffres et des lettres, des exercices de conscience phonologique. Avec le plus vieux (7 ans), des expériences de sciences, un peu de mathématiques en contexte authentique (préparation d’une recette par exemple) et la lecture pour le plaisir. Moi comme pédagogue, ça va. Mais qu’en est-il des parents qui n’ont pas un prof à la maison ou qui n’ont pas accès à la technologie pour visiter des sites webs éducatifs? Je m’inquiète pour mes élèves.

Ce qui m’inquiète le plus pour mes élèves est l’angoisse qu’ils doivent subir d’abandonner leur routine scolaire régulière. Pour plusieurs, l’école est l’endroit où ils se sentent en sécurité, se sentent aimés et font partie d’une grande famille accueillante. De quelle façon pouvons-nous étendre cette communauté et ce sentiment d’appartenance hors de nos édifices maintenant fermés?

Il est selon moi inconcevable d’offrir un programme identique à ce qui serait offert dans nos écoles. Il est également impossible de faire un chevauchement à l’apprentissage en ligne dans quelques jours, quoique je salue mes collègues en France pour leurs efforts rigoureux à cet effet.
 
Cette citation de Benoit Petit (@petitbenoit) m’interpelle : Présentement, nous faisons face à une situation inédite. Jamais, à l’échelle de la planète, l’humanité n’a eu à relever un défi semblable. Nos réponses automatiques ne sont peut-être pas complètes. Peut-être a-t-on besoin, en éducation, de prendre un pas de recul et de trouver des solutions innovantes à une situation hors du commun. Au fond, l’urgence actuelle est sanitaire, sociale et économique. L’éducation est importante certes, mais pas urgente.
 
Je trouve aussi intéressants les commentaires de Marie-Claude Tardif, enseignante de 5e année (CM1-CM2 NDLR) : Finalement, je pense sincèrement que cette décision de donner des travaux à faire à la maison nuit à ma profession : enseigner, ce n’est pas donner des devoirs sur le web et attendre qu’ils soient complétés… C’est discuter, questionner, répondre à des questions, revoir des notions, valider la compréhension des jeunes, c’est rassurer un enfant qui doute de lui, c’est lui montrer qu’on croit en lui… N’oubliez pas qu’on ne définit pas un enfant selon ses résultats scolaires, mais sur ce qu’il est… Cette situation particulière leur permet de développer autre chose que ce que l’école propose. Profitons-en!
 
Nos enfants, nos élèves, vivent un moment historique pour notre planète. On doit leur permettre de questionner, apprendre et reconnaitre leurs émotions en lien avec cette situation. Nos enfants vivent des moments anxieux pareils comme nous.
 
Je n’ai aucune idée à quoi ressemblera le travail à domicile pour moi et mon personnel les deux prochaines semaines. Si la fermeture n’est que deux semaines, j’ai entièrement confiance que mon personnel enseignant et de soutien pourra trancher dans le curriculum et enseigner les attentes les plus importantes à leur niveau d’étude. Si le congé se prolonge, et il semble que ceci est entièrement possible, je n’ai pas pour l’instant la solution à ce qui nous attend.

D’ici ce temps, je profite d’être pédagogue à mes enfants, mais surtout d’être papa, présent à la maison, même si je devrai passer des moments branchés au travail dans les prochaines semaines. »

 
René est directeur d’école (chef d’établissement – School leader) de l’école catholique St-Gérard (130 élèves de 3 à 11 ans), à Timmins, Ontario, environ 700 km au nord de Toronto. gaudreaur@gmail.com
 
 
 
 
 
 
#Jour 7 – Semaine 2.
 
La semaine 2 du confinement commence. Après la première semaine 1 qui a été celle de la mise en place, celle du stress du passage du présentiel à la totale dématérialisation.
 
J’espère que cette deuxième période sera celle de la prise de recul, celle où la réflexion et l’action porteront sur la partie humaine de la formation en ligne. Après avoir déposé des données, des ressources en ligne il faut penser les scénarios d’accompagnement, les formes du tutorat. Nous devons accompagner nos stagiaires, les accompagner.
 
A cet instant me vient la formule de Bernard Stiegler – L’outil est un pharmakon, à petite dose il soigne à forte dose il tue. Il faut que nous ayons bien conscience que l’outil seul n’est pas la seule solution. Il faut le marier avec la nécessaire dose humaine d’interactions. C’est l’assemblage subtil entre une ingénierie technique et une ingénierie sociale qui sont, me semble t-il, la solution.
 
A titre personnel, je trouve la reprise de cette seconde semaine difficile car je prends réellement conscience qu’il faudra tenir dans la durée. Le confinement et la dématérialisation sont arrivés par effraction dans notre vie.
 
Même si les liens sont permanents avec les collègues, c’est quand même un face à face avec un ordinateur.  Il n’y a plus le charme du numérique dans les transports publics comme je l’avais imaginé en d’autres temps.
 
Un ordinateur, un bureau, un boulot la formule revisitée de Pierre Béarn (Métro, boulot, dodo). Le métronome de nos vies recluses
 
#Jour 8
 
Comme promis cette semaine sera celle de l’Italie. Roberta Fantinato proviseure (dirigente scolastico) à Bologne (Bologna) nous parlera de son expérience.
 
En attendant voici un texte que Roberta m’a envoyé sur l’évaluation en ligne Valutazione DAD – liceo Minghetti Bologna. Je vais traduire en français mais il faut me donner un peu de temps.
#Jour 9
    #chronos
 
Le confinement a un effet sur la perception du temps. Non que je sois désorienté mais j’ai plus de mal à identifier le jour qu’il est. Il me faut recourir plus souvent au calendrier et à l’agenda pour ne pas confondre les jours. C’est une sensation désagréable. Nous sommes en manque de repère entre la semaine et le dimanche, le lundi et le mardi. Nous sommes dans une période de lissage des temps au sein de nos appartements.
Les routines s’installent et la période de suractivité technologique est derrière nous. Nous commençons à entrer dans ce qui me paraît essentiel l’accompagnement en ligne. Le travaux de Jacques Rodet n’ont jamais été autant d’actualité. Je pense notamment à ses synthèses sur les interventions des tuteurs à distance. Je pense profondément que cette crise fera mieux comprendre les concepts de présence à distance, de solitude numérique de la nécessité de donner des signes de présence à distance.
 
Sans tutorat il est difficile d’assoir une réel enseignement à distance.
 
#Jour 10 et #Semaine 2 – Synthèse
 
Fin de la seconde de semaine de travail. Comme en fin de semaine 1 c’est la fatigue qui domine. Le télétravail est une posture à gérer. Il y a un gap important entre une journée hebdomadaire et le télétravail permanent. C’est un sentiment de grand vide en fin de semaine. De plus il n’y a pas de perspective de rupture car le congés de fin de semaine est identique à la semaine.
 
Ce qui est évident c’est que l’éducation nationale est fortement engagée pendant cette période (mais elle l’est de façon générale, il est bon de le rappeler).
 
Personnellement j’ai le sentiment d’avoir beaucoup avancé dans mes différentes tâches de conception des formations en ligne. J’ai tenté de synthétiser les grands principes de l’accompagnement en ligne.
 
Faire la pause numérique est un peu difficile car la seule évasion possible passe essentiellement par les réseaux et les écrans (j’inclue la lecture). Je précise que j’ai une vie familiale (hors réseaux) qui me permet de briser la dureté du moment.
 
Après deux semaines de confinement (nous venons d’apprendre que le confinement est prolongé pour 15 jours au moins) j’ai le sentiment que le moral sera un élément déterminant, il faudra être attentif à cela.
 
#Routine
 
La routine de la semaine que je retiens. Le matin toute l’équipe se salue sur What’s app. C’est un temps auquel je tiens et qui rythme ma journée. Chacun se salue en envoyant une photo du ciel de la ville où il se situe. C’est important pour moi. Benjamin, Emmanuel, Aurélie, Frédéric, David, Maggy, Nicolas, Cécile, Magali, Pascal et Christian envoient leur coin de ciel et la journée peut commencer. A l’aune de cette nouvelle expérience, la ritualisation sera probablement un marqueur nécessaire de ces journées figées dans leur dimension spatiale.
#Italie #Un « simposio » 2.0
 
Du côté de nos amis Italiens on gère aussi le confinement, l’enseignement en ligne, les solutions pour « s’évader » des quatre murs. Roberta m’a envoyé une copie du journal local. Le journal titre « Les étudiants en proie à l’anxiété – Studenti in preda all’ansia » – « Quelli delle scuole superiori iniziano a dare i primi segnali di anzia e di smarrimento«  – Ceux de l’enseignement supérieur commencent à donner les premiers signes de désarroi et d’anxiété » -« Dopo le prime settimane in cui la didattica à distanza aveva dato nuovi stimoli ai ragazzi nonostante l’assenza fisica da scuola, ora, a detta di molti dirigenti scolastici, c’è una fase discendente e la scuole stanno provando a tenere agganciati i loro studenti, a non spronarli. » « Aux dires de nombreux chefs d’établissement, après les premières semaines pendant lesquelles l’enseignement à distance avait créé une stimulation auprès des élèves malgré l’absence physique de l’école, nous assistons à une phase descendante. Les écoles essayent de maintenir l’attention de leurs élèves, de ne « pas les perdre« , ils les encouragent. » – « E cosi a un docente del liceo classico Minghetti, Giovanni Pellegrini, insieme agli insegananti del dipartimento filosofico della scuola di via Nazario Sauro, à venuta un’ idea : far « uscire » i ragazzi la sera, all’ora in cui prima, magari finiri i compiti, uscivano con gli amici o per le sport, e riunirli tutti insieme attorno a un testo filosofico. Un « simposio » 2.0, dopo cena, per far incontrare gli studenti al di fuori dagli impegni scolastici della mattina. Un modo per imparare solo per il piacere di farlo, guadandosi faccia a faccia, ma solo attraverso « Google Meet ». Un modo per usare la filosofia come une vera e propria cura dell’anima, in questo momento cosi difficile per tutti » « Ainsi un enseignant du lycée classique Mingetti, Giovanni Pellegrini avec ses collègues du département de philosophie de l’école de la rue Nazario Sauro ont eu une idée : faire « sortir » les jeunes le soir, à l’heure où ils ont terminé leurs devoirs, où ils sortent avec ses amis ou font du sport. Les réunir tous ensemble autour d’un texte philosophique. Un séminaire 2.0 après le dîner pour permettre aux étudiants de se rencontrerau-delà de leurs obligations scolaires du matin. Une façon d’apprendre seulement guidée par l’envie, en étant présent les uns avec les autres mais par le truchement de « Google meet ». Une modalité pour utiliser la philosophie comme un soin de l’esprit dans ce moment aussi difficile pour tous. »  
 
 
#Avant #hypermobilité
 

Pause


le 31 janvier 2020 Le Monde titrait un article « J’en étais arrivée à un point où je ne savais même plus dans quelle ville je me réveillais » : les épuisés de l’hypermobilité professionnelle« . Cet article évoquait en partie ma vie professionnelle (les hôtels de luxe en moins). Le confinement a pour corollaire un très fort ralentissement de l’activité économique et un arrêt des déplacements. Je ne prends plus le TGV deux fois par semaine (voire plus). Je n’ai effectivement plus ces moments très angoissants où, lors d’un réveil nocturne, on ne sait plus où l’on se trouve.
 
En contrepoint de cet article initial et en raison des circonstances actuelles le futur article serait-il –  les épuisés de l’immobilité professionnelle ? Le titre pourrait être « Le matin je vois toujours le même bureau, le même ordinateur, le même espace, rien ne bouge, je craque… » ou « J’ai repris goût à une vie normale, je ne veux plus partir »
 
Qu’en disent les journalistes du Monde ?
 
#Jour 11
 #Dimanche
 
Le dimanche c’est relâche, le temps de coupure de la semaine. A propos de relâche est ce que le télétravail permet de relâcher son corps ? Je l’ai déjà écrit ici nous avons une vision Lasalienne du corps, nous pensons (enfin j’ai cette vision de la chose) que si le corps se relâche, l’esprit en fait autant. J’avais conçu la présentation ci-dessous en 2016
 
Accéder à ce Sway

Il serait très intéressant de savoir de quelle manière le télétravail a modifié les postures corporelles. J’imagine aisément des modules complexes, des cours conçus avachis sur le canapé, assis en tailleur sur le lit, ou au soleil sous une véranda l’ordinateur posé sur une table de jardin. Les publicités en ligne en ce moment sont dans ce registre, le lâcher prise du corps.

 

En 2015 je m’étais essayé à l’exercice d’imaginer d’autres postures en salle de cours

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#Semaine 3 #Jour13

Comme la semaine dernière la reprise du lundi est difficile alors même que je n’ai pas vraiment déconnecté ce week-end.

#Lien

 

Depuis le confinement j’envoie un tweet à nos stagiaires de l’institut, une façon de maintenir le lien à distance. Petit à petit cette routine qui consiste à donner des signes de présence à distance  commence à s’installer.
 
#Jour 14 – Un témoignage de C.Lajus
 
L’écriture collaborative continue. Aujourd’hui mon ami C.Lajus
 
Retraité de l’Education depuis juillet 2019, j’ai été admis à l’Ecole normale des Instituteurs de DAX en septembre 1969. Instituteur. A la fin des études, j’ai enseigné deux ans dans une classe de perfectionnement puis pendant treize ans, j’ai été en charge d’une école à classe unique. Durant les six années suivantes, j’ai pris la direction d’une école avant de réussir le Certificat d’Aptitude aux Fonctions d’Instituteur ou de Professeur des Ecoles Maître Formateur (CAFIPEMF). Les dix années suivantes, j’ai exercé les missions de conseiller pédagogique pour l’adapatation et la scolarisation des élèves handicapés, puis généraliste et enfin pour l’éducation physique et sportive.
En 2004, j’ai été admis au concours de recrutement des inspecteurs de l’éducation nationale. J’ai exercé ce métier dans le premier degré, en circonscription puis auprès d’une inspectrice d’académie.
En 2011, j’ai intégré l’administration centrale de l’Education nationale, affecté à l’école supérieure de l’Education nationale (ESEN) sur un poste de responsable de formation, puis d’ingénieur de formation. Le dernier poste occupé était celui d’adjoint au chef de département des cycles métiers à l’Institut des Hautes études de l’Education et de la Formation (IH2EF).

Deux semaines après… L’école a changé !

De ma toute nouvelle place de jeune retraité de l’Education nationale, très récemment engagé dans la vie municipale d’une bourgade de 3500 habitants, j’ai été fortement interpellé par cette situation inédite d’une école entièrement à distance. En quarante-cinq ans de carrière d’enseignant ou de personnel d’encadrement, je n’avais jamais connu un tel contexte…Avec la précieuse collaboration de l’équipe enseignante, des parents d’élèves, d’élèves, d’élus, à savoir de toute la communauté éducative, j’ai pu recueillir, durant ces deux premières semaines d’« expérimentation » : impressions, ressentis, vécus, propositions, initiatives…y compris venant de celles ou ceux qui fréquentent collège et lycée.

Plusieurs traits d’analyse sont très vite apparus : l’engagement de tous ; l’adaptabilité, la créativité et la capacité d’innover des enseignants ; la forte reconnaissance des parents envers les enseignants ; le manque de l’école en présentiel manifesté par les élèves ; la diversité des problématiques notamment en fonction des degrés d’enseignement, des disponibilités et aptitudes des familles mais aussi de la présence et de la fiabilité des technologies d’appui, sans oublier la place non négligeable de la collectivité pour assurer le lien (commission municipale aux affaires scolaires notamment). J’ai donc opté pour une présentation synthétique des contributions reçues en l’organisant autour des marqueurs forts que j’ai pu identifier.

►Le rôle central du directeur d’école 

Sa tâche s’est complexifiée et son engagement est remarquable. Il doit en effet gérer dans la même période, non seulement sa classe et les attentes de son équipe, mais également la procédure Affelnet pour les passages des élèves en 6ème en vue de la rentrée 2020. Ceci le contraint à un traitement individuel pour les élèves de CM2, soit à engager un dialogue avec 49 familles par internet, en lieu et place de la navette « fiches » qui se faisait les années précédentes. Toutefois, cette situation exceptionnelle l’a amené à créer de nouvelles modalités de communication au sein de l’équipe des enseignants avec l’ouverture d’un groupe whatsApp afin de communiquer sur l’avancée de la continuité pédagogique, y compris avec les familles. Ce lien nouveau génère à ses yeux beaucoup plus d’interactions et renforce les liaisons même si les relations étaient déjà excellentes selon lui. Mais ce qui est à relever surtout, c’est ce travail supplémentaire engagé, notamment les premiers jours du confinement, tant sur le plan technique pour faciliter les échanges de travaux et de consignes avec les familles que sur le plan pédagogique ou des programmations et des séquençages qui doivent être repensés. Le présentiel leur semblait moins exigeant ! L’autre inquiétude manifestée par le directeur est de deux ordres :

            ⁃         Que font les élèves qui n’ont pas la possibilité de travailler à distance ? Comment les accompagner dans leurs apprentissages ? » ;

            ⁃         Les familles tiendront-elles « pédagogiquement » la distance si le confinement s’étale sur plusieurs semaines ? 

►Le terme « équipe d’école » prend ici tout son sens 

Cette situation inattendue et déstabilisante a généré chez les enseignants de l’école une capacité d’adaptabilité remarquable. Il a fallu définir de nouvelles modalités de travail, rechercher collectivement des solutions face aux problèmes de réseaux saturés et surtout il était nécessaire de repenser la façon d’enseigner. Pour ce faire, il a donc fallu prendre du recul, analyser ses pratiques, mettre des mots de façon précise sur chaque tâche afin que chacun (parent et élève) puisse comprendre, expliciter, adapter, produire ou résoudre. Comment expliquer à un élève de maternelle et à sa famille la réalisation d’un geste graphique, par exemple ? Certains enseignants réalisent des podcasts pour travailler la phonologie et les dictées de mots, créent des groupes de travail, font des visios conférences avec d’autres collègues pour harmoniser les démarches ou en aident un autre en difficulté face à un outil informatique qu’il ne maîtrise pas. Une autre initiative est celle de la mise en place d’un site dès le lundi, site dans lequel sont présentés les travaux à réaliser avec une petite note vocale, des vidéos, des liens vers des applications et l’indication d’exercices que l’élève peut trouver sur son livre. Aux dires des parents, cette démarche développe l’autonomie de l’enfant et ressemble au plus près à un cours « particulier ».

Mais dans certains cas, il a été parfois nécessaire d’adapter le travail en fonction des problèmes matériels rencontrés (pas d’ordinateurs ou d’imprimante, problème de réseaux ou de flux). Et c’est dans ces situations particulières qu’un réel élan de coopération et de solidarité a vu le jour : les parents qui le peuvent impriment en plusieurs exemplaires les travaux demandés ou retournés puis les déposent dans les boîtes aux lettres de ceux qui rencontrent des problèmes.

De l’avis de tous, au bout de ces deux semaines, l’équipe est encore plus soudée même si elle l’était déjà bien avant. Ce sont également les relations avec les familles qui ont évolué, familles particulièrement impliquées et présentes.

►Un dispositif plus difficile à stabiliser en terminale mais qui semble fonctionner au collège

Cet enseignant de philosophie témoigne de ses difficultés liées en partie aux réseaux saturés, à des outils mis en place dans l’urgence mais également aux obstacles rencontrés pour permettre à tous les élèves d’assister, d’entendre ou même de recevoir ses cours… Pour lui, maintenir le lien relève souvent de l’impossible ! Il relate également la forte inquiétude des élèves de terminale, un stress décuplé par la confirmation des vœux à finaliser sur parcours sup ! Deux constats sont clairement exprimés dans son témoignage au bout de cette quinzaine : une certaine lassitude exprimée par les élèves qui lui sont confiés et la crainte que les inégalités se creusent malgré lui.

Pour l’élève du lycée, le témoignage fait écho à celui de l’enseignant. Il est difficile de maintenir une motivation constante. Il n’a pas acquis la maîtrise attendue des technologies proposées. Il n’est pas toujours aisé pour lui de s’approprier des connaissances nouvelles, ou d’effectuer des recherches de documents, voire de réaliser un travail personnel dans les temps impartis…

« Sans l’explication du professeur, les cours me semblent vides de sens. Je ne retiens rien de ce que je fais et j’ai toujours peur d’être passée à côté de certains devoirs à faire », dit-il. 

Cependant, il est à noter que les cours en ligne avec les professeurs sont   très appréciés car les élèves se sentent encadrés et peuvent obtenir des explications. Dans l’ensemble, on peut identifier plusieurs points récurrents : le manque d’interactions avec les autres élèves et de feed-back « lorsqu’on est seul dans sa chambre », la difficulté à s’organiser et à planifier son travail qui parfois semble démesuré, les aléas de la technologie avec des cours pas toujours accessibles…Mais un point fait l’unanimité : le fort investissement des professeurs !

Pour le collège, la lecture des quelques témoignages laisse apparaître que les élèves sont déjà plus habitués à l’usage des différentes technologies de communication et ont développé une autonomie de travail certaine. Il convient ici de noter que chacun d’eux bénéficie d’une tablette dans le cadre d’un plan de dotation départemental. Le retour des familles mettent aussi en avant cette capacité à gérer seul le travail demandé. Le seul obstacle est souvent la quantité de ce qui est demandé dans un temps assez contraint.

►Un renforcement des liens et une dynamique certaine au sein de la communauté éducative, dans le premier degré.

Le regard de chacun a évolué, y compris ceux des enfants. La présence des familles est plus marquée avec un esprit très participatif et solidaire. Plusieurs constats peuvent illustrer cette dynamique :

-Une structuration du temps : ce qui frappe, c’est que cette capacité d’adaptation s’est très vite accompagnée d’une nécessité première de structurer le temps avec majoritairement classe le matin et activités jardinage, culinaires ou ludiques l’après-midi. Cela va même jusqu’à la mise en place d’un système de « sonnerie / cloche » comme à l’école. « Quand ça sonne, les enfants arrivent en courant avec leurs cartables sur le dos ! Et les règles en vigueur en temps d’école sont conservées (interdiction des écrans / télé la semaine, aide au fonctionnement de la maison, on s’habille pour travailler etc…) », dit cette mère d’élève. Un autre parent déclare faire deux heures de classe le matin et deux heures en fin d’après-midi.

-Une innovation certaine : les activités sont souvent décrites précisément et laissent place à la créativité et à l’inventivité de tous. Quelques exemples :

*Un élève de maternelle a choisi des fleurs / fruits rouges, il les a découpés avec l’aide du parent et les a collés, puis il a fait un petit dessin à côté. Il a également montré qu’il savait faire des ronds, et puis a essayé de faire des carrés. L’objectif était d’envoyer ses travaux à sa maîtresse et à ses camarades.

  • Des histoires à créer en jouant avec ses legos et playmobil …histoires partagés ensuite avec la classe…
  • Pour les plus grands, l’objectif visé est la plupart du temps de développer leur autonomie : les parents donnent le programme de la journée…l’enfant fait ce qu’il peut réaliser seul dans la journée et le reste est revu avec les parents en fin de journée.

– La présence à distance :

Les enseignants ont très vite tissé le lien avec les familles et les élèves en répertoriant toutes les adresses e-mails. Ceci leur a permis de renforcer le dialogue, d’envoyer et de retourner les différents travaux par la voie numérique. Cette phase est très attendue de tous et, aux dires des élèves, remplace en partie les interactions qui se faisaient avant au sein de la classe. Au cours de ces échanges, des questionnements émergent sur ce que les autres ont réalisé.

Une enseignante sollicite les élèves pour un envoi de vidéos sur lesquelles sont enregistrées des poésies. Les familles contribuent alors à cette réalisation. Il est aussi organisé un concours de photos de fleurs ou l’écriture de chansons ou la réalisation de chorégraphies.

Certains élèves ont accès à la messagerie via la tablette de leurs parents et envoient par le biais de ce média les leçons ou travaux à l’enseignant. Voilà de belles sources de motivation !

Les parents se réfèrent souvent au programme (y compris pour les PS) et se disent soucieux des acquis de leurs enfants, de leur développement et de leur éducation. Leur implication est, pour la majorité, très forte dans la mesure où ils disent bénéficier de plus de temps pour accompagner leurs enfants dans les activités et les apprentissages. Il convient toutefois de préciser que dans les cas de télétravail ou d’enfants de soignants, la gestion est plus complexe. La différence d’âge entre les enfants d’une même famille est aussi évoquée comme une difficulté à obtenir des temps de calme, de concentration ou d’accompagnement. Une anecdote illustre toutefois l’importance du présentiel et de la vie en collectivité : « la vie en société manque à ma fille, les jeux en cours de récréation aussi ! On a dû aller vérifier au portail de l’école que le toboggan était toujours là ». 

Le recueil et l’analyse de ces différents témoignages m’ont vraiment éclairé sur les changements importants provoqués par cette rupture de pratique et de contexte. Là est sans doute le défi : poursuivre les apprentissages dans des contextes différents, avec des modalités adaptées et des rôles bouleversés pour ne pas dire inversés. Ici, sont relatés des témoignages de terrain, les plus proches possibles de la réalité, même si le contexte social est assez favorable, la précarité toute relative, les collectivités très impliquées dans les problématiques d’éducation. Il n’en demeure pas moins vrai que praticiens, parents, élèves, partenaires font émerger des questionnements pédagogiques, didactiques, organisationnels, méthodologiques et techniques qui ne peuvent que participer d’une autre vision de l’école. Elle interroge notamment la place et le rôle de chacun, ce qui relève d’un réel apprentissage, d’une simple consolidation ou d’un renforcement de connaissances et de compétences. Que se passera-t-il donc sur le moyen terme ? Je ne retiendrai surtout en conclusion de cette étape que deux préoccupations majeures : maintenir la motivation des apprenants et veiller à privilégier une nécessaire différenciation.

 

Where is Brian ? He’s speaking with his cellular phone

2 Déc

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La tour de Babel de Brueghel

L’insertion des technologies numériques dans les processus d’apprentissage est désormais une réalité, il me semble que le question ne fait plus débat. Ce sont les modalités d’utilisation, la façon dont les formes scolaires évoluent qui sont au centre des débats et réflexions. Les analyses sur les technologies sont avant tout un paravent qui abritent nos questionnements sur l’évolution de nos formes sociales.

Dans cette somme technologique qui imprègne notre vie, l’intelligence artificielle semble prendre ses marques et irise des pans de plus en plus large de notre éco-système technologique. J’évite, de façon générale, de me livrer à l’exercice de la prédiction car il est à risque et pour tout dire vain et inutile. Cependant on peut essayer de se poser des questions sur le champ des possibles à l’aune de signaux faibles que l’on relève dans sa veille.
Le besoin de communiquer, le développement des voyages, la mondialisation économique rendent le recours aux langues indispensables mais … La pratique d’une langue est un exercice à haut engagement personnel qui se traduit par un long processus d’apprentissage. Prenez cinq minutes et confrontez vos longues années de présence en cours (de la 6ème à la licence 3 par exemple) et remémorez vous votre dernière conservation dans la langue de Shakespeare, de Dante ou de Cervantès. Calculez le rapport effort d’apprentissage / efficacité du résultat …
Dix ans d’apprentissage pour peut être finir par dire à voix haute et dépitée, après avoir massacré la langue du pays hôte  « P… comment dit-on je vous remercie pour cette excellente soirée ? » ou à la fin d’une intervention en anglais (longuement préparée) vous priez pour que l’on ne vous pose pas de questions …
Peut-être est-on au début d’un changement radical grâce à l’intelligence artificielle. Les fonctionnalités des traducteurs vocaux progressent de façon vertigineuse. Il est désormais possible de s’exprimer dans une langue sans pour autant avoir passé par la case apprentissage. Il est évident qu’il est plus agréable d’avoir la capacité de s’exprimer sans la médiation d’une machine mais …
Manifestement nous sommes à un moment de notre histoire technologique où des innovations convergent pour rendre possible le développement d’une autre façon de communiquer :
L’accès aux technologies mobiles se développent, les logiciels de traductions progressent, les technologies des casques d’écoute évoluent vers plus de miniaturisation et s’affranchissent de l’oreille. Ces trois éléments techniques mis en  articulation rendent possible l’accès facile aux langues autres que celles de sa langue maternelle et paternelle. N’oublions pas que c’est souvent lorsque la convergence technologique s’opère que les progrès apparaissent. Prenons l’exemple d’Isaac Pitman qui en 1840 met au point les premiers cours par correspondance de sténographie en Angleterre. Son système arrivait à maturité grâce à la convergence du développement des chemins de fer et de l’uniformisation des tarifs d’affranchissement (le timbre postal). En raison de deux inventions notables on pouvait envoyer des cours dans toute l’Angleterre et créer des interactions distantes asysnchrones entre professeurs et élèves. L’enseignement classique dans une classe avec la présence simultanée du maître et des élèves se fissurait.
Il est possible que pour l’apprentissage oral des langues nous soyons arrivés à cette convergence technologique (téléphone portable, traducteurs, casque audio).
Cela pose en filigrane une possible évolution de l’enseignement des langues dans le futur. Quelles peuvent être les questions que nous aurons à nous poser à ce sujet ? Les questions que l’institution aura (peut-être) à gérer
Jusqu’à maintenant l’apprentissage est celui de l’oral, de l’écrit et de la civilisation (culture, littérature, histoire, géographie,…)
Comment pourra t-on, à terme, convaincre les élèves (les parents) de fournir un effort considérable d’apprentissage lorsque la machine les assistera (très) efficacement ? Quel sera le poids de l’argument pédagogique du « Il n’est pas très bon à l’oral« , nous serons pris entre le marteau du pragmatisme technologique et l’enclume de l’effort d’apprentissage.
Il est fort possible que des tensions apparaissent entre les tenants d’une forme de tradition et les tenants de la modernité. J’entends déjà les arguments de posture que l’on se renverra à la figure : « rien ne vaut un bon apprentissage », « que dire du plaisir de parler soi même avec l’autre », « et la culture du pays hôte ? », etc, etc. Si, comme je le suppose, cette possibilité du pluri-linguisme total nous est offerte, le débat des anciens contre les modernes sera engagé. Le débat de l’interdiction ou de l’autorisation du téléphone portable en classe est loin d’être éteint, je le subodore. « Brian is in the kitchen » sera numérique ou pas ?
Mon propos n’est pas de déterminer quelle sera la tonalité le champ du cygne de l’apprentissage des langues mais d’imaginer quelles seront les évolutions possibles à l’aune de l’offre technologique.
Les transformations ne supprimeront pas la diversité culturelle (elle ne le peuvent pas), il faudra encore l’enseigner, elle ne supprimera pas la richesse de la littérature, il conviendra de continuer à l’enseigner aussi. La question sera de situer la place de l’oral dans les pratiques linguistiques.
Je pense que le débat pourrait être vif, à terme. En attendant vous pouvez toujours utiliser les commentaires de ce blog pour anticiper le débat.

 

 

Technique et imaginaire.

28 Août

Les États-Unis est probablement un des rares pays où l’on éprouve le sentiment du déjà vu, alors même que l’on porte son regard sur un paysage parfaitement inconnu.  Ce sentiment est étrange car la découverte se dilue dans une brume singulière de familiarité. A l’est comme à l’ouest, au nord comme au sud ce sentiment étrange ne cesse de vous habiter. En homme rationnel il est difficile de croire à une autre vie que l’on aurait déjà vécu. Le besoin d’éclaircir ce point devient vite obsédant.

On comprend cependant très vite d’où  vient ce sentiment de proximité. Le lien Homme / technologie est au centre de ce phénomène de ressenti, le lien fort que nous entretenons avec le cinéma. Nous vivons dans un environnement culturel qui est largement dominé par l’industrie cinématographique américaine (entendue au sens large). Que ce soit sur les réseaux classiques des salles de cinéma, sur internet avec des nouveaux  opérateurs comme Netflix ou la très classique et historique télévision, nous sommes abreuvés par les productions d’outre atlantique. Les meilleurs scénarios comme les pires nous imprègnent de lieux, de sonorités, d’habitudes de vie souvent éloignés de nos repères habituels que nous intégrons malgré tout.

Robert De Niro chassant le daim dans « the deer hunter » (voyage au bout de l’enfer) ne se comprend bien que si l’on met en perspective cet engouement pour ce type d’activité aux USA. Des chaines du câble sont exclusivement consacrées  à ce qui s’apparente à une réelle passion des congés de fin de semaine masculine. Pour autant même éloigné de nos habitus, il nous reste les superbes paysages des forêts de l’Oregon.

On peut ainsi multiplier les exemples. Lentement, sûrement cette industrie a su façonner nos références. La rumeur des rues de New-York et les sons atténués des sirènes des véhicules de police vous bercent au 45ème étage de votre appartement comme si vous étiez plongés dans un polar US. Monument Valley est imprégné par  l’esprit  de Harry Goulding et de John Ford, le fantôme de « Dirty Harry » flotte sur San Francisco. Le désert du Nevada regorge de carcasses de bus abandonnés traces imperceptibles « d’Into the wild » de Sean Penn. Les lignes droites ont une saveur à la  Win Wenders. Il n’y a pas un espace visité que l’on ne puisse rattacher à un film, une ville qui ne soit rattachée à une série culte. Notre inconscient restitue le cette masse d’informations emmagasinées.

Ainsi, lorsque je passe en voisin devant la maison des frères Lumière place Ambroise Courtois à Lyon, je mesure encore mieux la puissance de cette invention dans mes (nos) représentations. La sortie des usines des frères Lumière est rétrospectivement une sortie fracassante car l’invention a transformé d’une certaine façon notre approche lorsque l’on veut produire du sens nouveau.

Le cinéma américain structure (bride ? Conditionne ? Cadenasse ?) nos imaginaires à l’évidence. Certes, j’ai vu une quantité de films d’autres pays mais aucun n’a la puissance de frappe des grands majors des USA. En tout cas pas suffisamment puissants pour s’insérer de façon aussi forte dans mon (notre ?) inconscient culturel, même si la fontaine de Trêve est et restera habitée par Anita Ekberg et que la  meilleure façon de décrire les cons reste celle d’Audiard.

A la révolution du cinéma s’est ajoutée celle du numérique, en même temps complémentaire et antagoniste. Dans quelle mesure notre imaginaire est-il façonné par la technologie numérique ? Les «derniers nababs» d’Elia Kazan se sont-ils déplacés de Los Angeles vers la Silicon Valley

Bien sûr il est plus qu’utile de (re)lire Mauss. Il nous a expliqué en son temps  dans « Techniques du corps« , comment le cinéma avait très vite influencé les comportements et gestes du quotidien (exemple de la marche des infirmières). Contentons nous de le citer tant l’exemple est révélateur :

 » Une sorte de révélation me vint à l’hôpital. J’étais malade à New York. Je me deman­dais où j’avais déjà vu des demoiselles marchant comme mes infirmières. J’avais le temps d’y réfléchir. Je trouvai enfin que c’était au cinéma. Revenu en France, je remarquai, surtout à Paris, la fréquence de cette démarche ; les jeunes filles étaient Françaises et elles marchaient aussi de cette façon. En fait, les modes de marche américaine, grâce au cinéma, commen­çaient à arriver chez nous. C’était une idée que je pouvais généraliser. La position des bras, celle des mains pendant qu’on marche forment une idiosyncrasie sociale, et non simplement un produit de je ne sais quels agencements et mécanismes purement individuels, presque entièrement psychiques. Exemple : je crois pouvoir reconnaître aussi une jeune fille qui a été élevée au couvent. Elle marche, généralement, les poings fermés. Et je me souviens encore de mon professeur de troisième m’interpellant : « Espèce d’animal, tu vas tout le temps tes grandes mains ouvertes ! »

Après cette longue introduction, je voudrais passer au sujet qui me préoccupe habituellement : l’enseignement en posant la question suivante :

Est ce que les techniques numériques proposées par l’industrie américaine stimulent une nouvelle forme d’imaginaire chez les enseignants et les apprenants ?

Depuis quelques années nous nous sommes lancés dans des expérimentations, des recherches, des écritures qui mettent au centre des analyses l’instrumentation. Quelle est la part de l’imaginaire dans ces démarches ? Y a t-il un lien entre la façon de penser des initiateurs et nos nouvelles postures ?

A la façon des architectures protestantes qui ouvrent l’intérieur vers l’extérieur (et inversement) avons nous intégré l’idée de la transparence dans nos modèles ?

Mes soirées longues et interminables sur le site du futuroscope seront propices aux temps de réflexions pour tenter de proposer des réponses argumentées.

 

***

 

Le numérique éducatif, entre métamorphose et métanoïa. La porosité de l’espace et la dilution du temps au service de la convergence pédagogique.

9 Juil

Métamorphose et métanoia

Le système éducatif en général et les Universités en particulier ont connu, depuis ces vingt dernières années, les bouleversements liés à l’introduction du numérique dans les processus de formation. Jérémy Rifkin qualifie ce mouvement de troisième révolution industrielle[1], Milad Doueihi préfère l’idée de conversion[2]. L’inclusion de l’objet numérique a provoqué autant  d’inventions fécondes que d’attitudes de rejet. Régis Debray[3] n’a pas manqué d’exprimer son scepticisme à l’endroit du e-learning : « Communiquer est l’acte de transporter une information dans l’espace, transmettre c’est transporter une information dans le temps […] Il faut toujours un corps pour transmettre, c’est d’ailleurs là le hic du télé-enseignement et de l’éducation sur écran, c’est que le tuteur n’est pas là, il n’y a que le tuyau et ça ne marche pas vraiment ». Les polémiques sont loin d’être closes.

L’observation de ce débat sur l’enseignement instrumenté par les « machines à communiquer[4] » nous donne à voir, à vivre et à questionner la transformation des usages pédagogiques. L’environnement instrumental des enseignants et des étudiants s’est métamorphosé, le livre papier a du composer avec le livre numérique, le tableau a opéré sa transformation chromatique en passant du noir au blanc, le cuir du cartable a cédé le pas aux plastiques des coques des terminaux.

La métamorphose des technologies utilisées dans le corps social s’est engagée mais il ne faut pas qu’elle se voile derrière un inutile « effet diligence[5] ». Nous risquons, si nous n’y prenons garde, de reproduire les anciens modèles avec de la nouveauté technologique, c’est-à-dire s’agiter pour ne rien transformer. Le changement attendu passe bien sûr par cette métamorphose engagée mais c’est aussi, et peut être surtout, l’attente d’une métanoia. Il faut que nous changions notre façon de penser parce que le numérique semble nous y pousser.

Dans chacun des cas, cela nous « condamne » à devenir intelligent (I), c’est en cela que nous devons proposer des scénarios pour exercer notre activité dans cet espace augmenté (II) et dans un temps qui se  modifie (III)

I.     Moodle nous condamne à devenir intelligent

 

Je me permets de citer en titre, un passage d’un discours de Michel Serres[6] « Les nouvelles technologies nous ont condamnés à devenir intelligents, […] nous sommes condamnés à être inventifs, à être intelligents c’est-à-dire transparents ». La révolution copernicienne que nous vivons, chahute nos habitus scientifiques et pédagogiques[7]. Nous avons l’ardente obligation d’être intelligents, telle est la leçon première de Moodle. Une intelligence sociale et technologique où l’autre est toujours présent.

Nous nous éloignons doucement mais surement des dispositifs pédagogiques 1.0 construits sur le principe de l’unité de lieu, de temps et d’action (un cours minuté, qui  réunit en un lieu physique le duo, enseignant, étudiant) pour aller vers un espace de formation augmenté. L’instrumentation des fonctionnalités de Moodle participe à la transformation de ce nouvel environnement. Être capable de circuler dans l’espace 2.0 devenu poreux c’est savoir faire preuve en même temps de ruse et d’esprit d’ingénierie. Notre feuille de route est tracée, elle nous oblige à composer entre la courbe et la ligne droite.

L’arrivée par effraction des méthodes instrumentées dans l’enseignement a complexifié les processus de formation, les routines[8] professionnelles ont du se réajuster, contraignant, dans un premier temps, les enseignants à bricoler[9] pour tenter de résoudre leurs problèmes immédiats. C’est une simple réponse instrumentale, à une question conceptuelle. Claude Levi Strauss dans la pensée sauvage nous donne les cadres de cette réflexion « Il se définit seulement par son instrumentalité, autrement dit, et pour employer le langage même du bricoleur, parce que les éléments sont recueillis ou conservés en vertu du principe que « ça peut toujours servir[10] ».

Christophe Dejours [11] convoque l’esprit Grec de la Mètis : « Mètis pour les Grecs, c’était une intelligence qui agit par la ruse […] Se préoccupe surtout de l’efficacité et prend des libertés, ou se montre impertinente, avec les règles et avec les lois […] Le plus important sans doute dans les caractéristiques de cette intelligence, c’est qu’elle permet d’improviser, d’inventer des solutions, de trouver des chemins insolites, dans des solutions nouvelles, inconnues, inédites. C’est une intelligence rusée, mais aussi foncièrement inventive, créative, facétieuse parfois, insolente souvent. Les Grecs disent que c’est une intelligence courbe, c’est-à-dire qui ne suit pas les voies bien tracées du raisonnement logique. » (p 31).

La ruse, le bricolage, le braconnage ont leur logique en nous faisant prendre les chemins de traverse, la sérendipité a  paradoxalement sa place dans la construction intellectuelle, mais elle ne peut être inscrite comme un principe stable de conception. Le génie[12], que nous nommerons ici la capacité à scénariser,  est notre horizon scientifique. S’obstiner à bricoler c’est s’engager sur la voie d’un possible échec expérimentation et / ou  se limiter à la production de l’exemplaire unique.  Il est possible que le liant entre les deux extrémités de ce segment  se nomme l’esprit collaboratif. Il ne se décrète pas cependant …

Choisir d’instrumenter un cours, un module, un enseignement (peu importe la granularité) ne relève pas, ne relève plus de la décision individuelle. Être intelligent, c’est s’obliger à aller vers l’autre, à s’extraire des silos dans lesquels nous aimons trop facilement nous claquemurer. À la façon des insectes sociaux[13], apprenons à œuvrer en groupe car la conception est résolument inscrite dans une chaine politico / technico / pédagogique.  Méfions nous cependant des idées reçues ; ce n’est pas Moodle, instance technologique, qui stimule la collaboration mais bien notre capacité et notre volonté (ou pas) à développer ces liens sociaux.

Le Président de l’Université, le DSI, les ingénieurs pédagogiques, les enseignants  et les étudiants sont inexorablement invités à collaborer. Voilà qui donne la dimension du chantier 2.0 ! Intelligences politique, sociale et technique au service de la définition d’un nouvel espace.

II.     L’espace

Le cours en amphithéâtre n’est pas encore à remiser dans la catégorie des souvenirs perdus de l’Université, loin s’en faut. Il n’est cependant plus l’unique et seule représentation du mode d’acquisition des savoirs. L’émergence des espaces numériques brise une forme de tradition voire une certaine représentation de l’académisme[14]. L’espace de formation est en train de muter, conséquence de son augmentation, Moodle y participe activement.

Il est un objet numérique qui permet de produire du sens. L’acronyme nous renseigne à lui seul sur les objectifs à atteindre et sur le programme d’action à engager. « Modular Object-Oriented Dynamic Learning Environment ». Un objet (environnement)  d’apprentissage qui se veut dynamique et modulaire.

L’objectif affiché est la conception d’un environnement (espace) de formation signifiant et signifié, volontairement dynamique et modulaire qui entraine la « disruption » du principe de l’unicité spatiale fondement historique des lieux de formation.

Cette approche de la transformation a largement débordé le cercle de l’enseignement depuis qu’il est l’objet de débats à la CPU[15] (Conférence des Présidents d’Université). Les questions qui sont abordées placent le numérique comme un élément central des analyses – « Le suivi des étudiants à distance », « Est-ce que nos statuts sont adaptés pour libérer ces énergies ? », « Des demandes de plus en plus fortes de télétravail », « Les enseignants veulent pouvoir changer leurs pratiques pédagogiques. Comment prendre cela en compte, comment les valoriser ? », « Comment doit-on calculer le service, dès lors que le présentiel n’est plus seul point de repère ? »

Apprendre dans et hors l’Université est une expression largement utilisée dans les discours mais elle traduit probablement une vision datée des débuts du numérique. Elle conforte l’idée qu’il y aurait une logique de l’espace réel et une de l’espace virtuel. Il faut l’affirmer, quitte à choquer les esprits, l’Université est inscrite dans l’un et l’autre de ces espaces sans possibilité de distinction. Moodle constitue désormais un élément non détachable du concept d’Université. Voilà qui donne le cadre premier de notre analyse, une autre perception, une autre conception de l’espace de formation

A.    Une scénarisation de l’espace

La confrontation à l’outil est un exercice redouté et redoutable car l’approche est protéiforme. On peut bricoler ou scénariser nous l’avons déjà souligné.

Le bricolage, le tâtonnement, le braconnage[16] envisagés comme procédés de conception pédagogique sont des postures à ne pas rejeter d’emblée (supra) car elles peuvent permettre de trouver des solutions à des problèmes factuels. Pour autant elles  ne sont pas l’essence d’une fin mais simplement un moyen, un mode d’existence. Le besoin de scénarisation de l’espace virtuel est vital sur le long terme, notamment lorsque l’objectif est l’industrialisation et la mutualisation des enseignements au sein de l’espace universitaire[17].

Dans mon activité professionnelle, à la faculté de Droit de l’Université Jean Moulin[18] Lyon 3[19], j’ai eu à penser ces questions d’interdépendances entre la structure machine et les besoins pédagogiques des enseignants et des étudiants. C’est en définissant des scénarios pour l’école de Droit de Lyon (EDL)[20] et en les formalisant que j’ai pu avancer des propositions scénarisées[21]. L’école de Droit est une formation à distance destinée à préparer des étudiants de Master aux métiers du droit (avocat, huissier, magistrat, notaire, policier). Les enseignants organisés sur le principe du binôme universitaire / professionnel dispensent un enseignement qui associe la transmission de l’académisme universitaire et la nécessaire acquisition des compétences professionnelles. La distance engage donc toute l’équipe à rendre fluide la transmission instrumentée des savoirs et des compétences. Les cours construits sont par conséquent la convergence entre la construction intellectuelle du champ académique et sa mise en cohérence au sein de l’espace numérisé.

Les principes évoqués engagent[22] les concepteurs à concilier des éléments parfois contradictoires. Je pense ici, en premier lieu, à l’obligation de faire cohabiter dans ses réflexions, un outil structurellement rigide (circulation du haut vers le bas) avec le besoin d’élaborer un schéma de circulation fluide (construction réticulaire). Il s’agit ici de faciliter les apprentissages des utilisateurs. Dans ce cadre de conception, le rapport de l’Homme à l’outil est sans cesse interrogé. On peut imaginer deux postures :

  • Celle où le concepteur se laisse guider par la structure par défaut de la machine (on empile) ;
  • Celle qui consiste à organiser spatialement le module en ayant préalablement défini, quelles sont les intentions pédagogiques des enseignants et quels sont les besoins des étudiants ? (on scénarise)

J’ai choisi la seconde solution, notamment avec Moodle. De prime abord ce LMS (Learning Management System) est loin d’être séduisant (soyons honnêtes !) car il nous impose, par défaut, une présentation des ressources empilées par blocs. Aller du haut vers le bas et du bas vers le haut n’est pas ce qui se fait de plus ergonomique et par extension de plus convivial pour nos étudiants. On pourrait en rester sur ce constat de première intention et vilipender la rigidité structurelle inhérente à la machine. Nous serions alors dans une posture misonéiste. Gilbert Simondon[23]nous aide à comprendre les termes du débat : « L’opposition dressée entre la culture et la technique, entre l’homme et la machine, est fausse et sans fondement ; elle ne recouvre qu’ignorance ou ressentiment. Elle masque derrière un facile humanisme une réalité riche en efforts humains et en force naturelle, et qui constitue le monde des objets techniques, médiateur entre la nature et l’homme. La culture se conduit envers l’objet technique comme l’homme envers l’étranger quand il se laisse emporter vers la xénophobie primitive. Le misonéisme orienté contre les machines n’est pas tant haine du nouveau que refus de la réalité étrangère»

S’affranchir de la peur de la technique et de l’innovation, c’est s’obliger à penser donc à scénariser. On se met en disposition de formaliser précisément les enjeux pédagogiques. Il faut alors structurer un ensemble d’items imbriqués, liés à la conception du cours. Il est besoin de répondre académiquement et opérationnellement à cinq questions :

Quelle est l’intention pédagogique ? Quel est le contexte pédagogique ? Qui sont les acteurs des dispositifs ? Quelles sont les ressources produites ? Quels sont les outils utilisés ?

C’est l’intention pédagogique que je retiendrais ici (les autres items mériteraient aussi évidemment une analyse détaillée). Quelle est notre capacité à instrumenter les fonctionnalités de Moodle ? Veut-on seulement déposer des fichiers afin qu’ils soient consultés ? Ce  n’est pas un scénario de mon point de vue, c’est juste un acte technique maîtrisé, une routine de bas niveau. Il faut aller plus loin en pensant le schéma de navigation qui facilite l’accès aux ressources, complément à la démarche en présentiel. Lorsque nos étudiants sont engagés dans un travail d’apprentissage, la logique linéaire ne peut suffire. Faut-il le rappeler, c’est le principe de l’évidence, nos constructions sont destinées à faciliter les apprentissages.

Bâtir un cours avec Moodle devrait (j’ose encore le conditionnel) reposer sur la capacité à penser les modes de circulation et d’accès aux informations. Il faut que le lecteur puisse disposer de plusieurs choix qu’il mobilisera au grès de ses besoins. Il faut pouvoir se déplacer de façon horizontale, verticale et thématique. La ressource pédagogique doit pouvoir être manipulée en toute souplesse, selon les besoins, les envies. C’est ici que la capacité à scénariser entre en jeux[24].

Autre exemple :

En d’autres temps, pas si anciens que cela, un enseignant sollicité par ses étudiants, curieux d’approfondir un sujet, aurait conseillé « d’aller à » la bibliothèque universitaire (BU). L’enseignant 2.0 continue à prodiguer ces conseils mais que veut dire actuellement « aller à …» ? Est ce toujours et seulement le parcours physique vers une structure architecturale expression monumentale du savoir ? Est-ce un accès sécurisé sur les serveurs de son Université ? La réponse est duale car les étudiants sont dans l’un et l’autre des registres, non de façon alternative mais de façon cumulative. C’est ce que nous explique Stéphane Vial[25] en affirmant : « La révolution numérique n’est pas seulement un événement technique, mais un événement philosophique majeur, qui modifie nos structures perceptives et reconfigure notre sens du réel. ». L’organisation spatiale du savoir se situe à un tournant, parce qu’elle est interrogée sur ses fondements historiques.

Prenons quelques exemples pour illustrer le propos. L’enseignement en ligne se développe (totalement dématérialisé, blended learning, MOOC, classes inversées) et provoque une modification de paradigme évidente. Les solutions adaptées aux nouveaux besoins ubiquitaires existent et sont implémentables dans Moodle.

J’aimerai évoquer ici le cas des classes virtuelles comme exemple symptomatique. L’Université européenne de Bretagne (UEB) en donne la définition suivante : « La classe virtuelle est une simulation, sur Internet, d’une classe réelle, permettant de numériser tous les échanges qui peuvent se tenir en face à face avec d’autres personnes (vision, son, échange de documents). La formation s’effectue en mode synchrone (en direct) entre un formateur et des apprenants pouvant géographiquement être séparés de plusieurs milliers de kilomètres.»

La diversité des questions qui sont posées repose là encore sur notre capacité à scénariser l’espace de formation (étant entendu, rappelons le, qu’il est réel ET virtuel[26]). La classe virtuelle (intégrable dans Moodle avec la solution Classilio[27]) en fait évoluer les contours.

Moodle permet d’implémenter un plugin de classe virtuelle. Au-delà des questions techniques de déploiement c’est une autre façon de concevoir le cours pour les enseignants et une autre façon d’apprendre pour les étudiants.

Précisons un point essentiel, la classe virtuelle simule le présentiel mais ne l’équivaut pas. C’est en cela qu’il faut scénariser ce mode de relation pédagogique à distance. La perception du physique et du virtuel est modifiée[28].

L’espace de formation universitaire signifiant est LA classe virtuelle pendant le temps d’utilisation.  Cette donnée impose de penser en amont un ensemble d’invariants pédagogiques.

Les acteurs du cours (enseignant et étudiants) sont présents simultanément dans les deux espaces. L’activation du module Classilio, au-delà de la routine technologique, est un acte lourd de sens spatial car l’interaction entre réel et virtuel est permanente. De fait, les participants au cours ont à gérer en même temps, la navigation dans l’espace numérisé et la scénarisation de l’écosystème de leur domicile. Il importe donc de redéfinir l’acte pédagogique au sein de cet espace augmenté[29]. Les enseignants concepteurs, les ingénieurs pédagogiques ont l’obligation de formaliser et d’expliquer ces stratégies d’enseignement spécifiques. Je pense ici à la spécificité du travail réalisé à partir de son domicile[30]. Les enseignants et les étudiants doivent explorer et comprendre leur écosystème technologique personnel car s’y exercent alternativement ou simultanément des activités privées, collectives et professionnelles.

Ces instrumentations  spécifiques font évoluer la professionnalité du métier d’enseignant et celle du métier d’étudiant. Nous voyons émerger de nouvelles compétences.

L’intégration d’une application classe virtuelle dans Moodle pose donc une grande quantité de questions aux Universités. Je me contenterai ici de les lister comme une invite au débat dans lequel les acteurs ont toutes leurs places comme force de propositions :

  • Quelle est la définition du domicile des participants au processus de formation ?
  • Comment peut-on gérer l’écosystème technologique personnel des participants ?
  • Quelle part de télétravail peut-on insérer dans les dispositifs de formation ?
  • Comment rendre professionnel l’espace de formation lorsqu’il est initié d’un domicile ?
  • Comment faire évoluer les statuts pour tenir compte des évolutions technologiques ?

B.    Une nouvelle grammaire du corps

Penser, structurer et organiser le virtuel c’est s’obliger à penser l’espace physique. Il est fort probable que le numérique nous ait engagé à imaginer, à tort, que l’esprit prenait le pas sur le corps[31]. Il n’est qu’à voir la place dévalorisée que l’on réserve dans notre système aux métiers dits manuels. Le corps est pourtant une dimension importante dans le rapport Homme / machine / technique. Marcel Mauss[32] l’avait déjà formalisé en son temps – « Pendant la guerre j’ai pu faire des observations nombreuses sur cette spécificité des techniques. Ainsi celle de bêcher. Les troupes anglaises avec lesquelles j’étais ne savaient pas se servir de bêches françaises, ce qui obligeait à changer 8 000 bêches par division quand nous relevions une division française, et inversement. Voilà à l’évidence comment un tour de main ne s’apprend que lentement. Toute technique proprement dite a sa forme. »

Jean-Baptiste de la Salle[33] disait, à propos d’éducation – « faut « tenir le corps droit, un peu  tourné et dégagé sur le côté gauche, et tant soit peu penché sur le devant, en sorte que le coude étant posé sur la table, le menton puisse être appuyé sur le poing, à moins que la portée de la vue ne le permette pas ; la jambe gauche doit être un peu plus avancée sous la table que la droite. Il faut laisser une distance de deux doigts du corps à la table ; car non seulement on écrit avec plus de promptitude, mais rien n’est plus nuisible à la santé que de contracter l’habitude d’appuyer l’estomac contre la table /…/ »

Apprendre et enseigner en instrument les processus, c’est donc convoquer obligatoirement le corps dans les scénarios. Moodle ne fait pas exception en ce domaine, encore faut-il l’intégrer dans ses analyses. La construction des enseignements en ligne (supra) déborde le rapport instrumental au LMS (Learning Management System) car c’est aussi et peut être avant tout une interaction avec les terminaux de réception et l’espace physique de formation. Il est bon de rappeler que si l’accès aux ressources savantes s’est profondément transformé lors des vingt dernières années, la grammaire du corps apprenant a peu évolué.

Nous entendons souvent cité, à juste titre, cette formule « Si un chirurgien du siècle dernier revenait dans une salle d’opération il serait incapable de comprendre son environnement professionnel. Si un enseignant revenait il ne serait pas ou peu désorienté»

Le champ d’analyse que nous avons à explorer maintenant est le lien qui existe entre la l’émergence des espaces virtuels et la transformation des espaces réels. Cela nous engage à tenter d’imaginer ce que devient le corps apprenant, quelle est la déclinaison de sa grammaire dans un espace recomposé ?

Lors de l’élaboration des scénarios de formation instrumentée il est de plus en plus fréquent d’insister sur le champ des possibles de la coopération et de la collaboration[34]. Ce sont les nouveaux modes de travail qu’il convient de situer dans le cadre réflexif de l’analyse spatiale. Nous entendons, répété à l’envi qu’il faut aller vers plus de collaboration et de coopération encore faut-il que cela puisse se traduire dans les espaces numériques et dans les espaces physiques. Les universités se doivent donc d’imaginer d’autres espaces de formation (en complément des anciens) en définissant à nouveau ce qu’est une salle de cours, un amphithéâtre. Il convient d’interroger systématiquement les statuts des objets du quotidien universitaire à savoir quel est le statut de la chaise, celui de la table ou bien encore celui des sols et des murs. Le mode de transmission des savoirs et des compétences basé sur la collaboration nous amène à penser la place des sons (du bruit) dans les dispositifs de formation. Le développement des méthodes collaboratives engage les enseignants et les étudiants à dialoguer. La réintroduction de la voix pose la question de la cohabitation pacifique entre ceux qui s’expriment à voix haute et ceux qui désirent privilégier le dialogue intérieur propice à la recherche. Nous revenons, d’une certaine façon aux pratiques de la grande bibliothèque d’Alexandrie[35] « Si la lecture à voix haute était le norme dès les débuts de l’écrit, qu’était-ce que lire dans les grandes bibliothèques antiques ? /…/ Les dérouleurs de parchemins dans les bibliothèques d’Alexandrie et de Pergame, Augustin lui même à la recherche d’un certain texte dans les bibliothèques de Carthage et de Rome, doivent avoir travaillé au milieu d’une rumeur bourdonnante »

L’analyse est multi niveau puisqu’il faut composer cette analyse entre les enseignements de masses pour les licences et des enseignements plus réduits quantitativement en master et en doctorat. Dans chacun des cas les réponses doivent être adaptées au contexte.

Nous voyons émerger des réflexions dans les Universités avec la création d’espaces spécifiques qui réunissent pédagogies et numériques. Pour le moment les qualificatifs sont nombreux et traduisent, me semble t-il, la difficulté à les appréhender (learning lab, learning center, espace de co-working). C’est ici que les équipes universitaires doivent convoquer de nombreux champs académiques et les mobiliser en transversalité pour être en capacité d’avancer des propositions. Je pense ici notamment au design qu’il faut engager à produire du sens pour permettre de fluidifier les liens entre le réel et le numérisé[36].

III.     Le temps

C’est peut-être ici le point le plus sensible du débat, celui qui contraindra probablement l’institution à prendre des décisions fortes car il engage le champ du politique. Il est difficile, de mon point de vue, de vouloir faire évoluer les postures pédagogiques en ne changeant rien à l’organisation sociale. Les « nouveaux » modes d’apprentissage (disons encore considérés comme tels) s’exercent actuellement dans un environnement juridique qui peine à suivre les évolutions technologiques. Il faudra à terme que les institutions soient en phase avec les constructions numériques qui sont et seront mises en place sur le court, moyen et long terme.

En intégrant une plateforme Moodle, on transforme les organisations de façon plus profonde qu’il n’y paraît. L’environnement technologique tend à modifier l’organisation sociale. L’accès à la connaissance est moins tributaire du lieu physique de regroupement et beaucoup plus du lien serveurs / terminaux numériques (ordinateur, tablette, smartphone). Historiquement enseigner et apprendre sont deux postures qui se définissent par la présence physique dans un lieu et un temps spécifié. Michel Foucault[37] à propos de ce temps disait : « Dans les écoles élémentaires, la découpe du temps devient de plus en plus ténue ; les activités sont cernées au plus près par des ordres auxquels il faut répondre immédiatement. […] Le temps mesuré et payé doit être aussi un temps sans impureté ni défaut, un temps de bonne qualité ». L’école et l’université ne semblent pas déroger au principe énoncé.

L’organisation de l’enseignement est conditionnée par l’élaboration et le respect d’un emploi du temps (le cours magistral, le travail dirigé). Il est, de façon générale, pensé dans le cadre d’une configuration spatiale physique (l’école, le collège, le lycée, l’Université, le centre de formation).  Le travail hors l’espace physique est intégré mais c’est plutôt à la marge.

Ainsi lorsque le travail en ligne abolit les frontières entre le réel et le virtuel (espace unique), ce n’est pas sans incidence sur le mode de travail des enseignants. Comment s’opère la confrontation de l’usage et du réglementaire ? Moodle invite la communauté enseignante à se pencher sur cette question.  Quand commence le temps de travail et quand s’achève t-il ? Sa définition devient complexe car l’existence du dématérialisé doit composer avec la représentation classique. L’espace physique (classe, amphithéâtre, salle de TD) situé au sein d’une structure immobilière (école, collège, Université) reste un critère de référence pour qualifier un enseignement. Quid de l’exercice dans les espaces numérisés ?

Les textes officiels ne plaident pas encore pour une répartition des tâches entre le réel et le virtuel. Le statut des enseignants chercheurs[38] précise certes que « « I. ― Le temps de travail de référence, correspondant au temps de travail arrêté dans la fonction publique, est constitué pour les enseignants-chercheurs :

« 1° Pour moitié, par les services d’enseignement déterminés par rapport à une durée annuelle de référence égale à 128 heures de cours ou 192 heures de travaux dirigés ou pratiques ou toute combinaison équivalente en formation initiale, continue ou à distance » La volonté affichée d’intégrer le travail à distance est plus que nuancée par l’expression « Le cas échéant » : « Art. 3.-Les enseignants-chercheurs participent à l’élaboration, par leur recherche, et assurent la transmission, par leur enseignement, des connaissances au titre de la formation initiale et continue incluant, le cas échéant, l’utilisation des technologies de l’information et de la communication.»

 Le travail distant et / ou numérisé se généralise dans les usages. Il est une réelle dimension de la vie universitaire mais les textes peinent à suivre pour que les usages soient institutionnellement pris en compte. Nous restons encore sur la base d’un timide « cas échéant » qui nous montre la direction mais il doit être amplifié pour stimuler les initiatives.

L’enseignement secondaire oscille lui aussi entre la volonté bien assise de développer le numérique tout en dissociant le réel du virtuel. L’Arrêté du 12 février 2007, consolidé le 13 septembre 2015[39]  précise quelles sont  les modalités d’exercice des actions d’éducation et de formation autres que d’enseignement pouvant entrer dans le service de certains personnels enseignants du second degré. On y retrouve mentionné « Usage pédagogique des technologies de l’information et de la communication /../ Activités liées à l’utilisation des technologies de l’information et de la communication». Ce qui est techniquement unifié est encore socialement et administrativement scindé.

Malgré tout, nous commençons à percevoir les évolutions, de nouvelles attentes qui s’expriment. La pérennité de la porosité des espaces rend techniquement possible le travail ubiquitaire. C’est une façon détournée de dire que le télétravail[40] est un champ qu’il va falloir sérieusement explorer sur le court / moyen terme. La technologie numérique pervasive a résolument transformé la façon d’envisager les rapports sociaux. Nous aurons à lutter contre des représentations bien ancrées, notamment celle du besoin (réel ou supposé) de voir l’autre pour contrôler[41] ses actions. Nous aurons à définir un autre mode d’organisation, celui qui instaure les pratiques de confiance. J’ose ici évoquer le concept de « care organisationnel ».

Dans la pratique le temps de travail dans les espaces numériques existe mais il n’est pas le calque du travail en présentiel. Notre système de formation s’est profondément et durablement transformé. Il apporte autant de réponses qu’il ne pose de questions.

Pour le moment nous naviguons entre usages féconds innovants et réglementations qui sont à la peine. Nous voyons émerger un temps gris non pris en compte qui est le champ des futures évolutions législatives. Il est pour le moment le ferment d’activités chronophages qui peuvent, à bien des égards, rebuter certains d’entre nous.  Le temps est, dans ce domaine, la solution aux questions de temps, il faudra que nous soyons patients et que nous répondions aux interrogations par le prisme de l’usage et de l’expérimentation argumentés.

Conclusion

Moodle s’est inscrit durablement dans le paysage de la pédagogie universitaire. Beaucoup voudrait y voir une simple inclusion d’un objet technique, domaine des spécialistes de la chose informatique pour débats disciplinaires en silos. Au-delà de l’objet technologique c’est une transformation radicale que nous sommes en train de vivre parce qu’elle induit un renversement de la pensée (métanoia). Elle est radicale dans le concept, elle l’est moins dans les usages parce qu’il faut leur donner le temps de s’installer. Moodle nous démontre avec force que l’humain est plus que jamais présent dans les processus de formation. Nous ne pouvons vivre dans cette illusion que les étudiants peuvent apprendre seuls, même dans un environnement qui met à disposition une quantité jamais inégalée de connaissances.

Il est fort probable que Moodle soit la digne héritière du Vizir Abdul Kassem Isma’il comme nous le rappelle Alberto Manguel[42] : «  Au Xème siècle, par exemple, le grand vizir de Perse, Abdul Kassem Isma’il, afin de ne pas se séparer durant ses voyages de sa collection de cent dix-sept mille volumes, faisait transporter ceux-ci par une caravane de quatre cents chameaux entraînés à marcher en ordre alphabétique ». Le désir d’un encyclopédisme ubiquitaire au service du savoir est la tâche qui incombe à Moodle et à la communauté qui instrumente ses fonctionnalités.

Nous pouvons nous permettre d’imaginer le futur Universitaire mais à la condition que nous soyons en capacité de continuer notre métamorphose et à nous inscrire dans un processus de renversement de la pensée (la métanoia)

Bibliographie

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Levi-Strauss. (1962). La pensée sauvage. (Agora, Éd.)

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Milon, A. (2005). La réalité virtuelle. Avec ou sans le corps ? (autrement, Éd.)

Moiraud, J.-P. (2014). Le blog, entre cadre universitaire et démarche personnelle d’éditorialisation, un objet de subversion scientifique ? LGDJ.

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Perriault, J. (2008). La logique de l’usage. Essai sur les machines à communiquer. L’Harmattan.

Rifkin, J. (2012). La trosième révolution industrielle : Comment le pouvoir latéral va transformer l’énergie, l’économie et le monde . les liens qui libèrent.

Salle, J.-B. d. (1828). La conduite des écoles chrétienne.

Serres, M. (2007). Interstice.

Simondon, G. (1958). Du mode d’existence des objets techniques. (Aubier, Éd.)

Theraulaz, G. (2002). Comment les insectes sociaux peuvent-ils nous aider à résoudre des problèmes complexes ? Mardaga.

Vial, S. (2013). l’Être et l’écran. PUF.

 

Sitographie

Blog

Jean-Paul Moiraud,—————————————————————————————- 3

Page web

Classilio—————————————————————————————————————————————- 7

École de Droit de Lyon——————————————————————————————————————– 5

Faculté de Droit de Lyon 3————————————————————————————————————— 5

Intervention de Michel Serres lors des 40 ans de l’INRIA, 11 décembre 2007—————————————- 2

Loi pour l’enseignement supérieur et la recherche du 22 juillet 2013, STRANE –———————————- 5

PAPN (Pôle d’Accompagnement à la Pédagogie Numérique)————————————————————— 5

Régis Debray———————————————————————————————————————————- 2

Universidad Presidente Carlos Antonio,——————————————————————————————– 2

UQAC, Université du Québec à Chicoutimi—————————————————————————————– 8

Diaporama

Jean-Paul Moiraud,—————————————————————————————————————— 5, 7, 8

[1] Jeremy Rifkin, « La troisième révolution industrielle : Comment le pouvoir latéral va transformer l’énergie, l’économie et le monde », Les liens qui libèrent, 2012

[2] Milad Doueihi, « La grande conversion numérique », La librairie du XXI ème siècle, Seuil, 2008

[3] Régis Debray «Communiquer et transmettre », BNF, 2000,

http://www.dailymotion.com/playlist...

[4] Jacques Perriault, « La logique de l’usage. Essai sur les machines à communiquer », Paris, Éd. L’Harmattan, 2008

[5] Universidad Presidente Carlos Antonio, « Tecnologia ou metologia » UNIPAC, Brazil, 2007, vidéo https://youtu.be/IJY-NIhdw_4idép

 

[6] Interstice – Intervention de Michel Serres lors des 40 ans de l’INRIA, 11 décembre 2007  – https://interstices.info/jcms/c_33030/les-nouvelles-technologies-revolution-culturelle-et-cognitive – 51ème minute et 40ème  seconde de la vidéo – Consultation le 14 septembre 2015

[7] Statut de l’enseignant chercheur, extrait : « Les enseignants-chercheurs ont une double mission d’enseignement et de recherche » – Article 2, Décret n°84-431 du 6 juin 1984 fixant les dispositions statutaires communes applicables aux enseignants-chercheurs et portant statut particulier du corps des professeurs des universités et du corps des maîtres de conférences.

[8] Jean-Paul Moiraud, « La routine pédagogique Un blog pour apprendre, apprendre avec un blog, 2015

[9] Claude Levi Strauss, « La pensée sauvage », Agora, 1962

[10] Ibid.

[11] Christophe Dejours, « Travail vivant, sexualité et travail »,  Petite bibliothèque Payot, 2009

[12] Génie, sens étymologique du mot ingénieur, celui qui conçoit des engins de guerre. Du vieux français engigneor « constructeur d’engins de guerre », dérivé de « engin » (Wikipédia)

[13] Guy Théraulaz, « Comment les insectes sociaux peuvent-ils nous aider à résoudre des problèmes complexes ?», création et cognition : Explorations cognitives des processus de conception, Mardaga, sous la direction de Mario Borillo et Jean-Pierre Goulette, 2002

[14] «Jean-Paul Moiraud, «Le blog, entre cadre universitaire et démarche personnelle d’éditorialisation, un objet de subversion scientifique ? » in «Les blogs juridique et la dématérialisation de la doctrine », sous la direction de Anne-Sophie Chambost,  LGDJ, 2014

[15] EAF / Dépêche n° 501356 : « Face aux enjeux du numérique, comment accompagner et valoriser les personnels ? » (Colloque CPU)

[16] Michel De Certeau, « L’invention du quotidien, art de faire », Folio essais (N° 146), Gallimard, 1992

[17] Loi pour l’enseignement supérieur et la recherche du 22 juillet 2013, STRANE – « Stratégie nationale de l’enseignement supérieur », 2015, http://www.enseignementsup-recherche.gouv.fr/pid30540/strategie-nationale-de-l-enseignement-superieur-stranes.html

[18] Faculté de Droit de Lyon 3 – http://facdedroit.univ-lyon3.fr/

[19] L’Université a créé le PAPN (Pôle d’Accompagnement à la Pédagogie Numérique) qui a pour objectifs notamment, la formation aux usages innovants en matière de pédagogie – http://www.univ-lyon3.fr/fr/universite/vue-d-ensemble/organigramme/pole-d-accompagnement-a-la-pedagogie-numerique-910805.kjsp?RH=INS-PRESfonc-orga

[20] École de Droit de Lyon – http://facdedroit.univ-lyon3.fr/presentation/equipes-et-centres-de-recherche/ecole-de-droit-de-lyon-616399.kjsp?RH=1248798407350

[21] Jean-Paul Moiraud, « Principes de conception » – http://fr.slideshare.net/moiraud/logique-machinehumaine – Diaporama, 2015 – – Consultation le 14 septembre 2015

[22] Jean-Paul Moiraud, « Les cours de l’EDL, une nouvelle circulation », 2015, diaporama – http://fr.slideshare.net/moiraud/circulation-moodle – – Consultation le 14 septembre 2015

[23] Gilbert Simondon, « Du mode d’existence des objets techniques », Aubier, 1958

[24] Jean-Paul Moiraud, « Les cours de l’EDL, une nouvelle circulation », ibid. p. 4

[25] Stéphane Vial, « l’Être et l’écran », PUF, 2013

[26] Stéphane Via, ibid.

[27] Classilio – http://www.classilio.com/

[28] Jean-Paul Moiraud, « Le domicile, un espace de liberté ? », 2015 – https://www.youtube.com/watch?v=A8M2VE0VB8U

[29] Jean-Paul Moiraud, « communiquer en classe virtuelle », diaporama, 2015 – – Consultation le 14 septembre 2015http://fr.slideshare.net/moiraud/commencer-une-classe-virtuelle

[30] Jean-Paul Moiraud, « Organiser une classe virtuelle », diaporama, 2015 – http://fr.slideshare.net/moiraud/organiser-une-classe-virtuelle – – Consultation le 14 septembre 2015

[31] Alain Milon, « la réalité virtuelle, avec ou sans le corps ? », Autrement, 2005

[32] Marcel Mauss, « Les techniques du corps », 1934, UQAC, Université du Québec à Chicoutimi, http://classiques.uqac.ca/classiques/mauss_marcel/socio_et_anthropo/6_Techniques_corps/Techniques_corps.html – – Consultation le 14 septembre 2015

[33] Jean Baptiste de la Salle, « Conduite des écoles chrétiennes », Ed de 1828, p .63-64

 

[34] Hélène Godinet, 2007, « Scénario pour apprendre en collaborant à distance : contraintes et complexité » in « Le Campus numérique FORSE : analyses et témoignages », Jacques Wallet (sous la direction de.), PURF

[35] Alberto Manguel, « Une histoire de la lecture », ibid, p.62

[36] Didier Paquelin, « Campus d’avenir concevoir des espaces de formation à l’heure du numérique », Ministère de l’Éducation nationale, de l’Enseignement supérieur et de la Recherche, DGESIP, 2015

[37] Michel Foucault, « surveiller et punir », Paris, Gallimard, 1994

[38] Statut des enseignants chercheurs, (Officiel) n°0097 du 25 avril 2009 page 7137
texte n° 9

[39] Décret du 12 février 2007, consolidé le 13 septembre 2015 http://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do?cidTexte=JORFTEXT000000273771&dateTexte=

[40]  Loi Sauvadet (n° 2012-347) du 12 mars 2012 http://bjfp.fonction-publique.gouv.fr/docresult?id=%2fAlfresco%2fValides%2f|41a94a54-703f-44c9-9b14-37d3130f8a42&docrank=0&resultid=2E1211D5A85941EBB16E0AE448758DBD

[41] Michel Foucault, « Surveiller ou punir », Collection Tel, Gallimard

[42] Alberto Manguel, « Une histoire de la lecture », Actes Sud, 2000

Les interactions à distance

13 Mai

Plus j’avance dans ce métier, plus je suis convaincu que la réussite de tout projet, l’entrée dans un métier passe par la phase de formation des individus et des groupes, à fortiori dans les métiers liés à l’éducation et à la formation. Il faut prendre le temps de former, cela paraît être un poncif , or c’est une règle d’or. Dit autrement ce ne sont pas des procédures que l’on pense huilées et infaillibles qui priment (même si  les processus de routinisation me semblent indispensables) mais bien notre capacité à penser et elle seule

Le numérique, même s’il offre une palette de solutions  pédagogiques toujours plus grandes, est loin d’être installé dans notre paysage. Le numérique est métaphoriquement le lien entre un ancien et un nouveau monde. Je voudrais ici parler de la distance dans le rapport de formation.

Le numérique bouleverse plus qu’on ne le pense nos modes de pensée et nos modes d’action. J’ai eu l’occasion de traiter ce sujet dans un autre billet car il s’agit de comprendre comment habiter sa professionnalité. Le numérique, en augmentant les espaces en général, et l’espace  de formation en particulier, nous engage à imaginer d’autres modes d’interaction et à les formaliser.
La réponse à la distance est encore trop souvent instrumentale, elle se traduit par des affirmations à l’emporte-pièce comme « Nous vous envoyons le lien pour la visio-conférence« , « nous vous fournissons le matériel« , « vous avez les services en ligne« , … C’est certes un  élément de réponse nécessaire mais il me semble que l’essentiel n’est pas là. Ce sont les nouveaux modes d’interactions qui sont centraux. Il faut partir du postulat qu’à l’heure actuelle notre espace d’interaction et de socialisation est pluriel. Les interactions s’exercent dans le réel et dans le numérique (jamais de façon alternative toujours de façon cumulative). Cela semble assez « simple » dans notre vie privée au moment où nous mixons les deux pour organiser notre quotidien (Air B’NB, Uber, twitter, facebook, skype, instagram, meetic, TGV pro, Auchan direct, impôt en ligne, applis diverses sur les smartphones, …) Nous sommes même entrés dans un monde paradoxal car nous parlons, sans que cela nous paraissent surprenant, à nos machines grâce notamment à Siri. Le dialogue avec  les machines semble s’installer sans provoquer de remous. Votre ordinateur, votre smartphone sont capables de vous répondre, de refuser de vous répondre ou d’exprimer leur incompréhension.

 

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Dans ce cadre d’émergence de nouveaux rapports entre l’Homme et la machine, nous piétinons quand il s’agit de travailler à distance entre Hommes. Il est probable que compte tenu de la rapidité des innovations nous avons omis de puiser dans nos fondamentaux, à savoir la formation à … Pour toutes ces raisons et bien d’autres encore, j’ai commencé à m’interroger sur ces questions de formation sur les interactions à distance. Ce sont des réflexions en forme de brouillons mais elles me permettent d’avancer dans mes analyses. J’ai fait le choix de mêler la réflexion théorique, (je reviendrai en temps utiles sur la question plus conceptuelle du panapotisme dans les relations humaines à distance), et les propositions plus multimodales, peut être plus simples mais dont la fonction est de mettre à plat les questions qui se posent dans notre quotidien professionnel.

En mettant entre les Hommes des machines pour interagir, nous réintroduisons le besoin de comprendre la technologie et le rapport que nous entretenons avec elle. Nous sommes résolument « l’homo technologicus » et nous ne pouvons entrer dans cette classification qu’en inscrivant ce rapport dans un cadre réflexif car la machine n’est pas neutre au regard de notre vie. Elle transforme radicalement notre sociabilité. La machine dans son rapport à l’humain (ou l’inverse) pose de nombreuses questions :

  • Comment qualifier le mélange des espaces ? Quand je télétravaille ma maison se transforme juridiquement pendant 7 heures 45 parce que le lien de subordination imprègne un espace dévolue initialement à la vie privée ;
  • Comment dois je m’exprimer selon les rôle que j’endosse numériquement ?
  • Comment dois je reconfigurer mes interactions en ligne ? Partant du principe que les règles de la vie s’y appliquent (politesse, courtoisie, écoute, attention, …)
  • Bien que classifié dans la rubrique des « travailleurs du savoir » je ne peux me dispenser de comprendre les enjeux techniques de mes environnements numériques.
  • Puis je avoir de l’empathie pour une machine ? Alors que je sais pertinemment que je suis capable d’antipathie pour des humains et d’empathie aussi bien heureusement.

 

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Organiser une visio-conférence, les interactions instrumentées

Le télétravail une modification du travail par transformation du lien de subordination

Le corps dans l’espace de formation

25 Mar
  1. Qu’on se le dise, mettre des roulettes aux chaises n’est pas un signe d’innovation …

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Les enseignants et les machines

5 Mar

Depuis l’apparition par effraction du numérique dans notre environnement professionnel nous lisons des articles, nous organisons des colloques, nous débattons sur la place de la machine. Sont-ce les machines qui sont centrales et qui doivent être l’entrée réflexive, sont-ce leurs fonctionnalités ?

Scénarisons d’abord. Identifions les fonctionnalités pédagogiques pour répondre aux  besoins identifiés puis sélectionnons l’outil disent les uns. Explorons le nouvel outil, bidouillons, bricolons avec nos élèves, étudiants et stagiaires disent les autres puis nous en tirerons des conclusions.

Il est vrai que la puissance des technologies numériques s’est immiscée dans tous les compartiments de la formation (initiale et continue), dans le management et dans la vie sociale.

La transformation est telle qu’elle a stimulé des pans entiers de la recherche, qu’elle a interrogé  les pédagogues dans   leurs professionnalités (en enthousiasme ou en détestation), qu’elle a engagé les politiques à traduire ces changements en réglementations, en politiques à court moyen et long terme.

Nous vivons au quotidien une révolution technologique. Les historiens, les sociologues analyseront ces conséquences dans un temps qui ne nous appartient pas, qui ne nous appartient plus.

La puissance du changement que nous vivons est inscrit dans notre quotidien professionnel, dans l’histoire des technologies que d’autres (probablement encore dans nos cours de récréations) auront à écrire.

Pour autant, face à ces modifications qui semblent  nous avoir plongé dans une grande lessiveuse, il nous reste l’histoire qui nous permet de mettre en contexte l’effet des changements.

L’immixtion des technologies n’est pas un fait nouveau, les enseignants, comme toutes les composantes de la société, ont dû dialoguer depuis longtemps avec les technologies. A la différence des autres groupes sociaux , j’ai le sentiment que le rapport Homme / Machine est plus conflictuel dans l’éducation. L’histoire des technologies, à défaut de nous donner des solutions, nous aide à commencer à dénouer cet écheveau. Deux camps semblent s’affronter depuis très longtemps, celui de la pensée pure et celui de la pensée instrumentée. L’introduction de la machine générant assez généralement des tensions. La machine, dans cet affrontement permanent des anciens et des modernes, semble se poser à la fois comme un objet de progrès et comme un objet de régression.

J’ai essayé, dans le diaporama ci-dessous, de formaliser ces idées afin que je puisse  (nous puissions ?) tenter de mieux (moins mal) imaginer mon (notre rapport) aux machines. Oui le numérique est un objet technologique qui transforme le quotidien et Non la technologie perturbante et transformatrice n’est pas une nouveauté.

Les espaces virtuels – réflexions

11 Sep

Les espaces virtuels

1.     Introduction

L’enseignement, notamment dans les Universités est encore majoritairement orienté sur l’acquisition des savoirs académiques par adoption d’une posture descendante frontale, même si de nombreuses expériences tendent à infléchir la tendance. Les apprenants sont mis en situation d’acquisition plus ou moins passive. Matthew B. Crawford dans son livre intitulé « l’éloge du carburateur » dépeint ainsi ce modèle d’apprentissage statique avec ironie mais réalisme :

« Il n’y a pas tellement d’individus qui soient naturellement enclins à rester sagement assis en classe pendant seize ans de scolarité, avant de passer éventuellement plusieurs décennies sagement assis dans un bureau« .[1]

La transmission des savoirs du haut vers le bas, l’inaction et passivité sont les ferments de la reproduction d ‘un système que beaucoup dénoncent mais qui persiste dans le temps. Nous avons à imaginer quels sont (seront) les ressorts pédagogiques qui pourraient briser ces habitudes.

Rendre plus active la participation et l’engagement des étudiants est un objectif qui doit animer les concepteurs des cours. Il ne s’agit pas ici de faire du passé table rase, car l’acquisition des savoirs académiques est une nécessité dans la construction intellectuelle des étudiants / citoyens. Il est besoin d’intégrer dans la réflexion l’acquisition des compétences, notamment professionnelles. Ne perdons pas de vue que les études sont avant tout un moyen et non pas une fin. Dans un contexte social et économique instable il est plus que jamais nécessaire d’imaginer des modes pédagogiques qui sauront accorder harmonieusement l’académisme et les compétences. La condition de la fluidité du continuum entre vie académique et vie professionnelle est à ce prix.

Titulaire d’un diplôme et alors ?

Il s’agit ici d’un enjeu crucial pour l’enseignement et l’apprentissage car il s’agit de mêler la réflexion académique et le savoir faire professionnel. Les technologies numériques peuvent contribuer à créer un liant entre ces deux matières si l’on sait conserver le cap dont la direction est la pédagogie. Nous devons avoir suffisamment de recul réflexif et de raison pour ne pas mélanger nos désirs technicistes et les besoins de la formation.

Dans cette symbiose nécessaire entre la scénarisation pédagogique et l’apport des technologies favorisant l’augmentation de certains apprentissages, nous allons proposer de regarder avec attention la place des mondes virtuels. Ce sont des espaces signifiants et signifiés qui complètent et augmentent l’espace physique réel de formation.

Les environnements spatiaux réels des lieux de formation (lycée, Université) sont peu favorables, de façon générale, à l’acquisition des compétences, et ce pour deux raisons essentielles :

  • Il est difficile, très difficile, impossible, voire inutile de reconstituer un environnement spécifique dans les lieux de formation. Le stage à cette fonction de pont intellectuel entre le monde académique et le monde professionnel ;
  • Nous sommes encore largement convaincus qu’il existe une partition étanche entre le penser et le faire. Notre culture est fortement imprégnée par le primat du disciplinaire. C’est pour cette raison que ces deux modalités d’apprentissage sont encore strictement divisées, souvent même opposées.

Pour autant … mon propos n’est pas un plaidoyer pour le développement de formations répondant à des besoins spécifiques et immédiats du monde professionnel, loin s’en faut.

Nous concevons les formations en alternant des temps et lieux de formation académiques et des temps et lieux de pratiques professionnelles (L’incontournable stage). La période de transition entre l’académisme et le professionnel peut représenter un gap important et difficile à franchir pour les anciens étudiants et pas encore professionnels avertis.

Osons d’ailleurs une adresse aux représentants des écoles formant leurs futurs cadres. Après avoir strictement sélectionné vos étudiants sur une référence fortement académique devez vous ? :

1 – Construire cette formation en continuant à renforcer les savoirs académiques ?

2 – Commencer à travailler activement les compétences ?

Il est possible que poser la question soit déjà un début de réponse

2.     Les compétences parents pauvres de la formation.

Dans les dispositifs de formation initiale il est assez difficile d’intégrer le développement des compétences professionnelles, notamment dans les sciences humaines. Nous avons tendance à concevoir notre mode de pensée de façon univoque. Nous entendons régulièrement la phrase suivante :

« Il est très important que les élèves de l’enseignement technologique et professionnel aient une bonne formation généraliste » nous entendons rarement, pour ne pas dire jamais, l’inverse.

Les enseignements sont donc largement conçus pour asseoir l’acquisition des savoirs académiques. Les enseignants y sont mêmes très attachés au sens ou c’est la reproduction de leur mode personnel de formation (l’oralisation du livre). C’est à la fois une force et une faiblesse. Une force parce qu’un enseignement généraliste permet assurément aux apprenants d’évoluer et de s’adapter dans une société que nous savons changeantes l’hyperspécialisation précoce d’une formation pourrait être comparée à de « l’obsolescence intellectuelle programmée »). Une faiblesse car le passage de la vie académique à la vie professionnelle peut se révéler difficile par manque de compétences acquises en amont de l’exercice professionnel. N’oublions pas cette demande récurrente des services des ressources humaines « Quelle est votre expérience ? » ou dit autrement, si j’ose une forme d’excès « Nous allons vous embaucher car vous avez toutes les qualités requises : 24 ans d’age et 35 ans d’expérience »

À la ligne de partage des savoirs académiques et de la constitution des compétences existent les mondes virtuels. Ils peuvent constituer un liant permettant d’amalgamer harmonieusement le monde académique et le champ des compétences.

3.     La virtualité, un élément de la formation (pour qui ?)

Un élément de réponse (parmi d’autres) peut être identifié dans l’exploration du virtuel. Divers scénarios de formation élaborés, mis en place, s’appuient désormais sur un mélange subtil entre le réel et le virtuel.

Il faut cependant accepter que certains acteurs refusent encore cette transition. L’innovation entrant dans une sphère professionnelle stabilisée, construite lentement, élaborée sur des principes autres (disons 1.0) peut constituer une forme de remise en cause de ce qui a construit professionnellement un individu. L’injonction à l’innovation peut être de mon point de vue extrêmement destructrice quand elle n’est pas expliquée et surtout pas accompagnée. Le temps extrêmement rapide des inventions technologiques 2.0 doit apprendre à composer avec le temps long du changement social. Nous oscillons ainsi entre le réel et le virtuel pour construire des séquences de formation. Notre espace de conception, intellectuelle peut s’exercer dans le réel ET dans le virtuel, le pont entre ces deux espaces étant la capacité à créer de la confiance, « le care pédagogique ». Il ne s’agit plus ici de se limiter au champ d’action des seuls enseignants mais bien d’impliquer toute la chaine administrative, sans exception.

 Dans cet espace pédagogique augmenté, nous devons, à la façon des pionniers du far west au 19ème siècle, explorer ces nouveaux espaces du savoir. Certains sont fertiles d’autres totalement stériles. Les mondes virtuels sont une des dimensions de ce « far web », lieu de conquête et lieu de non droit (ou de droit en devenir)

A.            Définition du virtuel

Il convient de définir, avant toute chose, ce qu’est le virtuel parce qu’il est devenu un mot valise prétexte utilisé dès que le numérique est convoqué.

B. Des fonctionnalités plus qu’un outil

Le travers du discours commun sur le numérique est de mettre en exergue le nouvel outil, la nouvelle application qui a remplacé la solution qui avait elle même promis les jours meilleurs de la pédagogie. Sans méconnaître l’apport des solutions technologiques qui inondent le marché, je pense que c’est avant tout la pédagogie qui doit prévaloir. Au risque de proférer une banalité la mission des enseignants et des formateurs est de favoriser les apprentissages. Nous vivons assez largement dans la vision techno centrée de l’âge du numérique qui nous persuade que nous venons de tout inventer en instrumentant numériquement nos processus. Cette instrumentation des enseignements et des apprentissages est pourtant une histoire ancienne, il suffit pour cela de se référer, notamment, aux expériences du collège expérimental de Marly le Roi[2], aux travaux de l’ENS Saint Cloud[3] dans les années 60 et 70 ou encore la radio télévision scolaire qui fait le point sur l’état des technologies en 1967[4]. Le lien enseignement / machine est un ancien rapport qui engage la foi dans la puissance des technologies. Ce débat est cependant renouvelé avec l’émergence du numérique et de la puissance de ses propositions. Nous sommes à l’aube de la troisième révolution industrielle, à un tournant de changement de la société. Le débat sur l’innovation est un pari sur un champ du possible et prendre le risque d’être démenti par les logiques de l’usage par les machines à communiquer[5]

1.     Qu’est ce que l’innovation en formation ?

L’innovation en formation est une question que j’ai partiellement abordée dans la première partie. C’est une question ancienne mais elle est renouvelée dans ses questionnements avec le numérique. Elle est un champ d’analyse qui se situe entre l’humain et le technologique, fruit d’un équilibre subtil ou l’Individu ne peut renoncer à son rôle central. La vraie innovation en pédagogie est sociale ou n’est pas.

Les technologies numériques, masquent une forme d’inquiétude dans le monde des enseignants et des formateurs. En quelques années ils ont du modifier leur façon d’être professionnelle. Ce qui était vérité, à tout le moins, ce qui faisait l’objet d’un consensus, a été très rapidement remis en cause, sans réelle transition.

L’innovation doit donc commencer par un acte permanent de pédagogie auprès des enseignants et des formateurs, le mot confiance devant supplanter le terme injonction. Innover c’est construire le « care pédagogique ». il faut accepter que les membres de la communauté éducative dialoguent, débattent, créés des règles communes, qu’il y ait, comme disent les psychanalystes, une activité déontique. Stefana Broadbent rappelle dans son ouvrage « l’intimité au travail[6] » que dans les années 60, dans les entreprises seul le cadre, digne de confiance, pouvait avoir le téléphone dans son bureau. À qui viendrait l’idée aujourd’hui de confisquer le téléphone portable aux 24 millions de propriétaires[7] ? L’usage est totalement normalisé car nous sommes passés du stade de l’innovation à celui de la généralisation, puis à celui de la confiance.

Nous regardons le doigt qui nous montre la technologie quand il faudrait se concentrer sur les habitus sociaux.

Les espaces virtuels 3D existent comme un champ des possibles. Ils sont des grands classiques de la littérature de science fiction[8] Techniquement ils font leurs preuves notamment dans l’industrie, il reste maintenant à franchir le cap dans les modules de formation.

2.     La réalité virtuelle

Le concept de virtualité nous impose de faire un détour par les concepts et de donner une définition afin de mieux cerner le propos, cela nous engage à pratiquer la stratégie du détour intellectuel.

A.    La virtualité.

Ce mot s’est inscrit dans le langage commun et s’est quelque peu dilué dans la mesure ou il est utilisé pour qualifier ce qui est numérique. Or la virtualité est un concept cadré et qui prend sa source dans la pensée des philosophes grecs. Marcello Vitali-Rosati[9] nous donne des clés pour explorer ce concept :

« Le virtuel est ce qui a un principe de mouvement conduisant à la production de quelque chose de nouveau : c’est ce qui ressort de la définition aristotélicienne de dunaton et qui reste présent dans l’emploi scolastique du terme virtualis. Cet aspect est d’ailleurs présent dans l’idée de virtuel par rapport aux nouvelles technologies car le virtuel est toujours pensé comme une force qui pousse vers la production d’un actuel différent du virtuel duquel il provient. »

Il existe une littérature abondante sur le concept de virtualité ; que je vous invite à lire si vous souhaitez approfondir cette notion.[10]

Être dans le virtuel c’est donc se mettre en mouvement, c’est créer quelque chose de nouveau. Enseigner et apprendre (est-il possible de différencier l’un de l’autre ?) c’est virtuellement créer de la nouveauté, se mettre en mouvement pour créer du sens.

Il nous revient ainsi de jalonner ce qu’est cet espace de formation où le virtuel le dispute au réel.

Notre analyse sera plus restreinte en terme d’artefact de formation puisque nous allons évoquer les mondes virtuels et leurs fonctionnalités. Ce concept est balisé et c ‘est dans ce cadre que nous tenterons de définir des usages pédagogiques qui permettent de confronter l’acquisition des savoirs académiques et des compétences en une même instance.

Notre propos ne sera pas de tenter de prouver qu’il y aurait un outil aux fonctionnalités parfaites. Il s’agira de montrer que dans un repère pédagogique déterminé il est possible de faire progresser les apprentissages.

B.    La définition du monde virtuel

Il importe, pour commencer, avant d’essayer de tenter de donner une définition de visualiser une expérience pédagogique menée en monde virtuel. Le QR code ci-contre vous aidera à donner un cadre visuel à une structure complexe. Ce travail de visualisation doit aider à mieux comprendre les analyses théoriques engagées plus loin.

La simulation de procédure pénale – Expérience de la FDV (faculté de droit virtuelle) de l’Université Jean Moulin Lyon 3

« Le monde virtuel de simulation est un monde en trois dimensions (3D) créé à l’aide d’un logiciel et d’une programmation, spécifiques. Le monde est en général une représentation de lieux réels mais il peut être aussi une construction purement imaginaire élaborée dans le cadre d’une démarche plastique. Il permet à un groupe de personnes éclatées géographiquement et placées en situation immersive d’interagir. Les acteurs du dispositif peuvent, à l’aide d’avatars, d’objets ou d’une vue subjective, parler, écrire, gérer des attitudes corporelles, se déplacer, y compris en s’affranchissant les lois physiques du monde réel. Le groupe constitué partage un intérêt commun, défini dans un projet élaboré de façon formelle. Les apprenants seront mis en situation d’acquisition des savoirs et de compétences en reproduisant des situations du réel. Les situations sont reproductibles à l’infini, elles permettent d’analyser des situations simples (des routines) ou extra – ordinaires. Le monde virtuel de simulation combine des constructions scénarisées au service d’enjeux d’enseignement[11] et d’apprentissage[12]. » Jean-Paul Moiraud 2012

3.     Le cas de l’utilisation des mondes virtuel en procédure pénale

Dans cette configuration pédagogique, le monde virtuel est utilisé dans le cadre du diplôme universitaire (DU) de l’école de droit de Lyon (EDL). Le scénario de ce cours de procédure pénale a prévu d’intégrer les fonctionnalités d’un monde virtuel. Il ne faut pas ici, comme ailleurs en innovation, céder à l’effet magique de l’outil. Cette technologie procède d’une genèse instrumentale car elle est intégrée dans un ensemble plus large scénarisé. Les enjeux tiennent à la capacité de l’équipe pédagogique à former les étudiants aux savoirs académiques et aux compétences à acquérir dans un métier. Il est indispensable au préalable de scénariser sa pratique l’intégration du monde virtuel en étant une dimension.

A.     Un monde virtuel intégré dans un dispositif de formation

Les enjeux et les acquis de la formation ne peuvent se résumer au seul monde virtuel mais bien à la capacité de le rendre dynamique dans un dispositif large. Il serait contreproductif d’emmener ex abrupto les étudiants dans un monde virtuel. Coupé de toute logique pédagogique, le monde virtuel se réduirait à une aimable démonstration technologique. La puissance technologique dissociée d’un sens intellectuel n’a aucune logique. Il y aurait, si l’on restait sur cette dichotomie, ici une vision « mal technicienne »[13] de la construction pédagogique. Ce n’est pas la machine et son logiciel qui pervertirait la l’Homme et donc son dispositif de formation mais bien l’Homme qui pervertirait la machine.

La première démarche des concepteurs doit ainsi consister à identifier les intentions pédagogiques qui seront activées dans le processus de formation. La démarche intellectuelle consiste à aligner un ensemble d’images « a presenti » qui constitueront à terme un schéma dynamique d’apprentissage. C’est un analogon, une série de représentation de ce qui sera. L’invention doit être la résolution d’un problème, s’il y a problème isolons le, c’est préférable à la création.

B.  Un besoin de scénarisation

Cette identification passe par le processus de scénarisation. Nous pouvons la résumer en cinq points et cinq questions :

  • Quelle est l’intention pédagogique des concepteurs ?
  • Quel est le contexte pédagogique dans lequel seront intégrées les fonctionnalités identifiées ?
  • Quel est le public concerné ?
  • Quelles seront les ressources produites ?
  • Quels seront les outils utilisés ?

Cette étape est fondamentale car s’il est vrai que l’on peut définir des invariants de formation en monde virtuel, il convient de penser le dispositif dans un contexte précis. Il est difficile de construire une structure unique allant du collège à l’Université. Le scénario est par lui même une forme de virtualité car il engage ses concepteurs à prendre des paris sur l’avenir. Rien ne garanti que les principes définis dans un premier temps soient ceux qui prévaudront dans le réel de la pratique pédagogique. L’usage itératif est donc un gage de réussite.

C.             Acquérir des compétences grâce au monde 3D

Un savoir n’est jamais un objet neutre car il est développé dans un contexte social spécifique. Nous exerçons nos savoirs en relation avec l’autre, là ou nous pensions que le numérique ferait de nous des esprits, nous percevons qu’il convoque régulièrement notre rapport au corps et notre rapport à l’espace. C’est dans cet espace que se construit la professionnalité.

Les mondes virtuels permettent aux enseignants de construire des enseignements spatialisés dans lesquels les acteurs des dispositifs pourront apprendre de façon protéiformes.

  • Le savoir confronté à la spatialisation

Le savoir et les connaissances ne sont pas des concepts neutres, ils sont intégrés dans le fonctionnement de la société. Il est de ce fait nécessaire de les injecter in vivo. Or, le contexte de la société de l’immatériel tend à nous faire privilégier l’esprit au détriment du corps. C’est probablement une erreur historique. Notre savoir est spatialisé, les mondes virtuels, paradoxalement, peuvent nous aider à apprendre cette spatialisation.

  • Le rapport homme / espace

Outre la possibilité de vérifier les savoirs académiques les acteurs des dispositifs peuvent s’inscrire dans un espace social reconstitué. Les apprenants (avatarisés) sont immergés dans un espace 3D dans lequel ils pourront se mouvoir. Dans de nombreuses situation du réel, le placement du corps dans l’espace à une grande importance car il est signifiant. Dans le cas des simulations de droit pénal, les étudiants doivent apprendre à se situer dans l’espace du tribunal. Chaque placement est signifiant. On pourrait étendre cette réflexion à une grande quantité de situation d’apprentissage.

Ces capacités à percevoir son espace professionnel sont difficilement réalisables dans le cadre d’apprentissage classique si ce n’est en procédant par des dispositifs de contournement (image, vidéos, jeux de rôles)

  • Le rapport Homme / Homme

L’accès au monde virtuel commence par la création de son identité virtuelle. Une immersion passe par le truchement de la conception de son double numérique avatar[14]

L’interaction sociale peut être intégrée dans les scénarios des pédagogies immersives car les avatars disposent d’artefacts sociaux. La voix bien sûr mais aussi la possibilité de gérer des gestuelles (se saluer, lever la main, acquiescer, dénéguer, tendre la main, marcher,). Le corps est donc réintroduit dans les dispositifs de formation.

Le vêtement est une dimension importante dans une interaction sociale. Dans le cas de la simulation d’un procès, les acteurs portent des habits professionnels signifiants. Les magistrats, les avocats portent dans leur exercice professionnel des vêtements signifiants.

Le rapport Homme / Homme outre la simulation engagée par les étudiants, c’est aussi le rapport tutoral entre l’enseignant et les apprenants. Dans un monde comme second Life ou opensims il est possible d’activer une fonction qui n’existe pas chez les humains. Je pense ici à la vue augmentée qui permet de suivre une action sans avoir à bouger et / ou en étant loin d’une scène dynamique.

Au-delà des possibilités instrumentales offertes par ces mondes, le rapport Homme / Homme est élargi car le lieu d’interaction s’opère dans la virtualité. Le monde réel ne sert que de point d’accès technologique en mettant à disposition les écrans ou toute autre dispositif d’accès.

  • Le rapport Homme / objet

L’interaction, si l’on considère que son spectre doit être large, doit aussi s’appliquer aux objets. Il est ainsi possible d’interagir entre acteurs en mobilisant son rapport à l’objet. On peut s’asseoir, monter dans un hélicoptère, conduire une voiture, se déplacer dans un espace précis, manipuler des outils divers.

Je voudrais conclure ce point en insistant sur le besoin de déborder ce rapport avec l’environnement instrumental en le structurant au sein d’un scénario pédagogique très structuré.

D. S’affranchir du syndrome du geek, « ben … c’est simple ! »

J’aimerais jalonner le champ de mon propos en précisant que les mondes virtuels sont encore largement inscrits dans le champ des innovations. Le marqueur de la réussite de ce champ d’application serait de constater sa diffusion, sa banalisation, qu’il devienne une routine.

Si la réalité virtuelle est une terre riche de promesses, elle doit être accessible à tous et pour tous au sein de modules de formations bien identifiés. Il serait malhonnête intellectuellement de prétendre que toutes les formes d’enseignement sont éligibles aux mondes virtuels.

Il convient donc ici de s’affranchir du « syndrome du geek » c’est-à-dire ne pas se figer dans l’idée que ses propres enthousiasmes technophiles sont forcément ceux des autres. La construction de modules pédagogiques en monde virtuel est complexe (comme toutes constructions), affirmer la simplicité comme principe affiché est réduire son analyse aux compétences technologiques basses (compétences manipulatoires).

Alors oui les mondes virtuels sont riches de promesses mais de l’esquisse il faut savoir passer au gabarit. Il est nécessaire de faire primer le pédagogique sur le technologique.

4.     Quel monde virtuel ?

Posons en introduction un principe qui me paraît central : « Ma réflexion à pour objectif d’imaginer comment donner de la plus-value à l’enseignement, pas à promouvoir une technologie parmi d’autres »

Si la conception de l’apprendre et de l’enseigner est centrale il faut la mettre en écho avec les enjeux techniques. Il faut procéder à des arbitrages et choisir une technologie qui soit la plus adaptée en terme d’intentionnalités pédagogiques. Il importe de se poser dès le début du processus la question suivante : « Quels sont mes objectifs pédagogiques ? ». À défaut de réponse il est vain de continuer à s’engager sur ce chemin pédago / technologique.

L’accès au monde virtuel peut s’effectuer à l’aide de plusieurs technologies. La plus emblématique est certainement second life mais il y a aussi la solutions libre comme opensims. Ces deux environnements permettent de développer des scénarios très complexes.

Il y a, de mon point de vue, deux postures dans ce registre :

  • Celui du passionné qui développe des scénarios dédiés. Les exemples sont nombreux, les expériences très intéressantes mais elles reposent sur un seul individu et c’est un point faible.
  • Celui de l’équipe constituée et pérenne qui permet de s’inscrire dans le temps et peut être de s’engager dans des dispositifs plus massifiés. La communauté opensims de ce point de vue permet d’engager des projets en s’appuyant sur le principe du collaboratif.

La complexité est inscrite dans la conception mais elle l’est aussi dans la mise en œuvre. Ces mondes virtuels nécessitent de charger un navigateur spécifique, de créer son avatar, d’apprendre la façon de se développer, de voler, d’interagir, de saisir les objets, de gérer sa vue normale et augmentée. Tout cela s’apprend bien évidemment. Il ne faut pas perdre de vue que l’objectif premier est l’apprentissage.

La question à trancher est de déterminer quelle est la nature du ratio entre les temps d’apprentissage des modalités instrumentales de l’environnement et les temps de formation active. Nous sommes ici dans la réflexion qui consiste à pouvoir transformer l’exercice d’innovation en outil de massification, le moment où le principe ne fait plus l’objet d’analyse, lorsqu’il a fusionné dans son milieu.

On voit poindre des solutions qui pourraient simplifier ces processus. Je pense ici à l’émergence des casques virtuels. Ils sont peut être les nouveaux horizons de la pédagogie immersive au sens où ils libèreront de l’emprise avec la machine (le rapport main / clavier / conduite de l’avatar).

Cette virtualité (réelle) nous amènera, me semble t-il, à penser différemment la place du corps dans les dispositifs de formation. Le casque peut aider à libérer le corps du rapport contraignant bureau / terminal de réception / fauteuil. Il faudra (il faut déjà) imaginer d’autres postures de formation, être debout ou assis dans un fauteuil ? Apprendre d’autres gestuelles notamment aptonomique ? Gérer les questions d’oreille interne pour les plus sensibles à la nausée ?

Les quelques questions que je viens de soulever vont nous engager à imaginer d’autres formes des lieux de formation (on peut limiter ce concept à la seule salle de cours), d’autres gestuelles parce que le rapport instrumental est modifié pendant le module d’apprentissage.

Dans ce cadre les réflexions débordent largement la seule entrée technologique ne suffit pas, car c’est la pédagogie qui est en jeu.

5.     Monde virtuel et serious game, une identité ou une différence ?

Vu de l’extérieur le monde virtuel semble identique au « serious game », pourtant … Même s’il s’en rapproche à bien des égards il s’en différencie sur certains points.

La simulation en monde virtuel s’écarte du « serious game » au sens ou c’est essentiellement l’intelligence humaine qui domine et non uniquement l’intelligence logicielle. Dans un dispositif d’apprentissage instrumenté par les mondes virtuels c’est le scénario élaboré par les enseignants / formateurs qui prévaut. La capacité de scénarisation est donc dominante.

Une autre différence fondamentale, offerte par les mondes virtuels, est la capacité des enseignants à s’immerger dans le scénario avec les apprenants. Nous sommes ici dans un processus où les enseignants ne sont pas les individus qui arpentent derrière le dos des apprenants pour vérifier le bon déroulement des processus d’apprentissage qui s’opère sur le moniteur, mais bien ceux qui participent in vivo à la formation. C’est peut être ici que le concept d’immersion justifie le mieux son terme, l’espace virtuel favorise l’émergence d’un réel espace de collaboration immersive. Nous pouvons oser l’expression de « virtualité réelle ».

Puisque le virtuel puise son existence dans le réel, qu’il est le vecteur de l’action, alors il est loisible d’insérer dans les scénarios une part d’aléatoire. La dimension scénarisée passant essentiellement par l’humain et moins par l’algorithme, il est possible de ne pas tout dévoiler aux étudiants dès le début de la simulation. C’est une façon d’accompagner les apprenants tout en se réservant le droit de tester leurs réactions à une situation donnée [insérer vidéo]

Conclusion

Les mondes virtuels, imaginé par les auteurs de science fiction, développés et popularisés par Second life sont entrés dans les champs expérimentaux. Nos sommes à l’heure actuelle à la croisée des chemins. Le champ des possibles offerts par le développement des technologies nous donne à penser que nous pouvons peut être développer des pédagogies jusqu’alors impossibles à envisager.

Le chemin est encore long mais si l’on sait travailler de concert dans des champs disciplinaires que l’on sait croiser, il est possible de mettre en place des scénarios ambitieux.

L’extension des espaces a toujours été une donnée de l’histoire des peuples, pas toujours heureuse il faut bien le reconnaître. Mis au service de l’éducation l’osmose entre l’espace réel et l’espace virtuel peut aboutir vers des objectifs louables.

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[1] Matthew B.Crawford, « l’éloge du carburateur, essai sur le sens et la valeur du travail », La découverte, 2009

[2] Marly le Roi – https://www.canalu.tv/video/canal_tematice/formation_des_enseignants.3748

Geneviève Jacquinot – https://www.canal-u.tv/video/canal_tematice/entretien_avec_genevieve_jacquinot.3591

[3] Le laboratoire des langues, ENS Saint Cloud, 1964, – http://www.canal-u.tv/video/canal_tematice/le_laboratoire_de_langues.3753

[4] Le point sur les technologies – https://moiraudjp.wordpress.com/2014/03/01/histoire-des-technologies/

[5] Jacques Perriault, La logique de l’usage. Essai sur les machines à communiquer

Paris, Éd. L’Harmattan, 2008

[6] Stefana Broadbent, L’intimité au travail, FYP éditions, 2011

[7] Le journal du net – http://www.journaldunet.com/ebusiness/internet-mobile/equipement-et-usages-des-smartphones-0613.shtml

[8] Neal Stephenson, « Le samouraï virtuel », Ailleurs et demain, Robert Laffont, 1982

William Gibson, Neuromancien, J’ai lu, 1984

[9] Marcello Vitali-Rosati, « La virtualité d’Internet » sur le site Sens Public – Article du 16 avril 2009

[10] Marcello Vitali-Rosati, « circuler dans le virtuel »

Stéphane Vial, l’être et l’écran, PUF, 2012

Alain Milon, « Le corps et le virtuel »

[11] Check list enseignant – https://moiraudjp.wordpress.com/2011/07/13/check-list-professeur-pour-enseigner-dans-un-monde-virtuel/

[12] Check list apprenant – https://moiraudjp.wordpress.com/2011/07/12/check-list-etudiant-pour-apprendre-dans-un-monde-virtuel/

[13] Gilbert Simondon, « du mode d’existence des objets techniques », Aubier, 1957

[14] Avatar –. « Siddhārtha Gautama qui est considéré comme un Avatar de Vishnou. Dans les Puranas, il est le vingt-quatrième des vingt-cinq avatars, préfigurant une prochaine incarnation finale » Wikipédia