Monde virtuel – L’instrumentum et le negotium

14 Mai

Quoi de plus anodin, en apparence, qu’une séance de remise de diplômes à l’université. Le 10 mai 2011 j’ai assisté  à la cérémonie de fin de formation qu’organisait la  faculté de droit virtuelle  (FDV) de Lyon 3 Jean Moulin pour ses étudiants de master. Le  diplôme sanctionnait le suivi d’ un module de cours de droit des affaires canadiens / Québécois. Apparemment pas de quoi nourrir une chronique de blog ou alors une rubrique gastronomique pour la qualité du buffet qui suivait ce moment sympathique.

Anodin, pas si sûr ….

Le cours de droit des affaires canadiens fut  dispensé au sein du monde virtuel second life (cinq séances de cours) dans lequel sont reproduits les bâtiments de l’université Jean Moulin (Quai Claude Bernard). Une façon particulièrement efficace de reconstituer une unité de lieu et de temps pour des acteurs géographiquement éparpillés. Notons pour plus de précisions que les étudiants suivaient les cours de  leurs domiciles, l’avocate intervenante dispensait son cours du Canada et l’équipe technico – pédagogique intervenait aussi à distance (France).

L’idée même de bâtir ce module de formation relevait du pari fou, l’expression de  projet hors sol me paraît appropriée et pourtant ….  On ne peut assurément pas circonscrire la pertinence de ce module au seul périmètre numérique de l’espace utilisé (Le campus virtuel de Lyon 3), il faut lui associer la construction intellectuelle scénarisée  qui a permis de créer une réelle interaction enseignants / apprenants. Je nomme ce travail d’amont comme l’ intention pédagogique. Il s’agissait bien sûr de former des étudiants mais  … en mobilisant un ensemble d’acteurs (les enseignants organisateurs de la FDV, une avocate canadienne, les étudiants), des outils (le monde virtuel)  et de ressources (les cours). L’ensemble interagissant de façon dynamique (un maillage).

L’image ci-contre s’appuie sur le principe de la cartographie des temps anciens parce que la navigation dans les mondes virtuels ressemble encore à une grande aventure pour explorer une terra incognita. Percevoir l’ensemble de ce monde c’est se donner les moyens d’explorer toutes les îles qui le composent. Innover c’est naviguer dans les embruns, franchir des mers d’ interrogations, relier des acteurs postés sur les différentes îles, c’est tracer  au compas son chemin sur la carte marine  (scénariser). En quelques termes ramassés il faut :

  • Convaincre les étudiants du bien fondé du projet ;
  • Bousculer des habitudes de formation assises sur le principe d’unité de lieu et de temps (un cours dans un amphithéâtre, un TD dans une salle de cours) ;
  • Travailler en interaction distante synchrone avec un groupe constitué autour du projet de formation ;
  • Harmoniser une multitude de solutions techniques, à la fois matérielles et logicielles ;
  • Gérer et susciter  les interactions pendant les séances de formations ;
  • Identifier les  compétences à maîtriser pour chacun des acteurs. Le parcours de formation instrumenté par un monde virtuel complexifie l’exercice du métier d’enseignant et du métier d’apprenant. Chaque acteur du dispositif doit mobiliser simultanément, ses aptitudes à maîtriser le dispositif technique et sa capacité à suivre l’enseignement de spécialité. La notion de compétence doit s’entendre et s’interpréter de façon différenciée pour l’enseignant et pour les apprenants ;
  • Faire reconnaître (accepter ?) ce mode de formation comme un élément à part entière du dispositif universitaire de formation. Je suppose que des résistances sinon des oppositions peuvent surgir face à l’émergence d’un tel modèle innovant. Rappelons que la résistance, la défiance  à l’introduction des nouvelles technologies est une question qui jalonne l’histoire de l’humanité. Citons à titre d’illustration un passage de Phèdre. Lorsque Thot, le dieu des scribes, explique au pharaon l’intérêt de l’écriture, la réponse du pharaon est cinglante : « Il ne produira que l’oubli dans l’esprit de ceux qui apprennent, en leur faisant négliger la mémoire. En effet, ils laisseront à ces caractères étrangers le soin de leur rappeler ce qu’ils auront confié à l’écriture /…/ tu n’offres à tes disciples que le nom de la science sans la réalité » – Mythe de Theut – Phèdre 274 b – 277 a . La querelle des anciens et des modernes existe toujours et encore …

Nous sommes aux débuts, aux balbutiements du e.learning via les mondes virtuels ( je crois savoir que c’est la seule expérience sur l’ensemble des universités lyonnaises). Ils sont encore largement  identifiés dans les représentations collectives comme un simple outil, au mieux un sympathique divertissement, une organisation où  l’instrumentum prime sur le négotium.  La formation qui vient de s’achever fait vaciller les fondements de ces représentations stéréotypées. Elle  démontre que c’est l’activation des fonctionnalités du monde virtuel qui donne une réelle cohérence pédagogique (interactivité, ubiquité, maîtrise des échanges numériques,analyse de documents juridiques, évaluation et validation de l’information, traitement et exploitation d’informations …)

S’il est vrai que les étudiants ont acquis des savoirs disciplinaires (droit des affaires canadien), ils ont aussi acquis des compétences numériques qu’ils pourront réutiliser en situations professionnelles  et qu’ils  pourraient intégrer dans un processus de validation de compétences de type C2i2e métier du droit. J’ai le sentiment que cette expérience démontre avec brio qu’un cours peut déboucher sur deux types de certifications sans avoir à fractionner les enseignements (mais peut être me fourvoie je ?)

J’attends avec impatience la nouvelle expédition des explorateurs de la FDV, ils cartographieront de nouvelles îles.

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