T’as choisi l’atelier le plus chiant

1 Sep

Cette année à l’Université de Ludovia, j’avais choisi de suivre les débats des ateliers collectivités locales. Peut-être une façon de renouer avec ma formation de juriste de droit public, plus probablement l’envie de me frotter aux réalités de l’éducation versus institution, certainement pour mettre en acte le principe de la nécessaire collaboration.

Vue de la sphère enseignante, le jugement a été radical et démoralisant : « Tu as choisi l’atelier le plus chiant« .

Bien sûr je n’ai pas pu assister aux divers ateliers sur la remédiation, pas vu les ateliers bidouilles qui me plaisent tant, exit les analyses passionnantes de François Jourde, je ne saurais pas comment bâtir un journal de classe ou percer les mystère de l’imprimante 3D …

Et pourtant j’aime à penser les superstructures de mon métier car elles font émerger les conflits et les tensions car on y instille la dimension politique et tous les tabous dont on ose parler ouvertement.

Sous les tentes totémiques de Ludovia ont été abordés les tabous de la formation.

« P. ext. Règle d’interdiction respectée par une collectivité. Gardons-nous de sous-estimer la puissance persistante de ce vieux tabou: « Tu ne feras d’histoire qu’avec les textes » (L. Febvre, Vers une autre hist.,[1949] ds Combats, 1953, p. 429). Seule la répétition et un travail personnel apportent l’outil et la formation à la méthodologie passe par la critique de la méthode elle-même. Il faut abolir le tabou selon lequel, à l’école, on ne parle pas de l’école. Il faut montrer aux élèves comment remettre constamment en cause l’apprentissage lui-même, comment se démonte leur propre apprentissage (B. Schwartz, Réflex. prospectives, 1969, p. 18). » Centre national de ressources textuelles et lexicales – CNRS

Une règle d’interdiction respectée par une collectivité, c’est bien de cela qu’il s’agit dans mon propos. Dans les discours souvent convenus, tout le monde commence par psalmodier la phrase magique  » La pédagogie est du ressort de l’État, les bâtiments et la technique de la compétence des collectivités« . Cette phrase répétée à l’envi prend forme la forme de la méthode coué.

Très vite on comprend que les collectivités en ont « ras le bol » de financer sans avoir la possibilité d’auditer, d’impulser. Dit en langage plus diplomatique il est difficile pour les collectivités d’avoir un retour sur les usages pédagogiques consubstantiels aux investissements.

Les débats étaient véritablement stimulant car au-delà de la gangue technique, le langage administratif il était véritablement passionnant de voir exprimer les conflits engendrés par la décentralisation.

L’éternelle opposition entre les girondins et les jacobins prenait tout son sens sous les frondaisons Ludoviennes et pourtant …

Il devient de plus en plus difficile de vivre en se conformant au tabou précité. Comment ne pas reconnaître que le choix d’un ENT, d’un parc machine n’a pas d’impact pédagogique. Soyons aussi capable de reconnaître que le non choix d’un ENT, le retard dans les politiques d’investissement. a un impact fort sur le fonctionnement, sur la vie des établissements.

Cet atelier a fait apparaître que les grands mots, les grands thématiques réthoriques de la pédagogie n’atteignaient pas forcément les politiques. Les débats étaient souvent très techniques et j’ai eu le sentiment qu’ils associaient peu le monde enseignant. Quid de la coopération et de la collaboration ? Même dans le cadre de compétences décentralisées on a plutôt le sentiments que ce sont les logiques top-down qui prédominent.

Pourtant il y a eu des moments ou ces modes de fonctionnement sont apparus comme de freins et ont été soulignés. Des intervenants ont souligné le frein que représentait le manque de stabilité des référents numériques dans les établissements. le référent numérique, Homme de terrain est celui qui sait faire remonter les problématiques technico / pédagogiques.  La pérennité dans ce poste serait un avantage pour les collectivités locales.

 non l’atelier collectivités locales n’était pas chiant, il était même passionnant car il faisait émerger les caractéristiques d’un système qui aurait besoin de pratiques collaboratives (ce que fait émerger le net) mais qui est encore l’héritier d’un jacobinisme rigide qui n’ose dire son nom.

On retombe sur cette question de la confrontation des temporalités incompatibles, celle des technologies qui vont vites, celles des investissements sur des moyens termes et celle du système social qui peine à se réformer parce que nous sommes sur des échéances très longues.

Nous aurons encore besoins de nombreuses années d’observation et de débats pour voir les lignes de fracture bouger. Il est fort possible que le temps de notre activité professionnelle ne soit pas à l’échelle des évolutions administrativo- pédagogiques.

Les changements sont assurément engagés, Ludovia est un des rares lieux de ce dialogue transdiciplinaire, j’engage les enseignants à délaisser parfois le charme des débats et polémiques autocentrés pour investir le champ de la polis. À la façon du design japonais on entre dans l’épure mais c’est justement parce que l’accessoire est évacué, que l’essentiel apparaît.

 

5 Réponses to “T’as choisi l’atelier le plus chiant”

  1. Baussard 2 septembre, 2014 à 6:20 #

    Dans ce même atelier, j’ai été étonnée de voir à quel point le non-retour ou le peu de retour sur les usages était regretté par les collectivités territoriales. Peu de personnes en interne dans les établissements y pensent lorsqu’un renouvellement de parc informatique se produit. Or j’ai vraiment eu le sentiment que les régions et les départements en avaient assez d’être cantonnés au rôle de « fournisseur de matériel » et qu’au-delà de l’aspect technique, ces collectivités « souffraient » d’un manque de reconnaissance dans leur démarche éducative, comme si nous – acteurs de l’EN – nous les cantonnions à l’aspect fournisseur de produits/services, alors qu’ils avaient envie de mettre un pied dans les usages, dans les retours sur pédagogie. Comme si leur implication éducative n’était pas assez reconnue. Mais de la même manière, ils semblaient ne pas se rendre compte – ou ne pas savoir du tout – que dans certaines situations, des produits (type ENT) sont parfois fournis sans enquête préalable d’usages à venir / de besoins chez les personnels éducatifs, et que de fait, le manque de connexions qu’ils peuvent parfois déplorer peut alors en partie s’expliquer par une inadéquation entre les besoins et le produit livré. Conclusion : une meilleure communication s’impose… Un référent numérique stable, oui, mais un référent numérique invité aux réunions avec les collectivités référentes, ce serait encore mieux.

    • Jean-Paul Moiraud 2 septembre, 2014 à 7:15 #

      Bonjour,

      Je suis très heureux que vous ayez répondu à ce billet. J’imaginais en le rédigeant qu’il n’allait intéresser personne et pourtant …

      Je suis comme vous surpris par le fossé qui s’est creusé entre les collectivités locales et l’État et effectivement ce sentiment d’être confiné au statut de fournisseur d’équipements. L’usage est le mot clé. Que fait-on de ce matériel ? Est-il sous employé, sur employé ? Bien situé, mal situé ?

      Au moment où le débat va porter sur les équipements sur les learning center, le 3C (je ne sais jamais quel terme utiliser) on risque (mais je peux me tromper) de sombrer à nouveau dans ce travers, une conception hors sol (disons avec une concertation minimum avec le corps enseignant) et des usages qui ne feront pas ou peu de retours d’expériences.

      Pourquoi ne pas rémunérer des enseignants engagés pour obtenir leurs avis d’usagers et les engager dans la conception de sites prototypes ?

      Il serait bien que ce billet puisse servir de lieu de débat et que des acteurs engagés des collectivités s’expriment.

      Bien cordialement

      jpm

  2. Lyonel Kaufmann 2 septembre, 2014 à 2:23 #

    A reblogué ceci sur Lyonel Kaufmann blogue….

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