Temps numérique, temps statutaire

8 Oct

Billet publié sur le site de la mission Fourgous (septembre 2009) – Billet sur le même sujet rédigé en octobre 2010

L’intégration des TICE dans les pratiques des enseignants à fait éclater les murs de la classe, les pratiques nous le démontrent tous les jours et de nombreux rapports l’ont analysé, décortiqué, (rapport Bardi – Bérard les réseaux et l’école numérique – 2002). Les rapports au temps et à l’espace sont modifiés dans les processus d’apprentissage. Le terme de continuité pédagogique est devenu un terme très présent dans le discours pédagogique (la pandémie H1N 1 a redonné du lustre à ce concept). Il est vrai que techniquement les réseaux peuvent permettre d’assurer les apprentissages dans la classe et hors la classe.

La notion de « dans et hors la classe » apporte probablement une valeur ajoutée pour la classe (des études européennes semblent le démontrer) mais …. Le travail de mise en place, de construction, de transmission des savoirs est un acte lourd qui modifie profondément le métier d’enseignant. Aux nouveaux enjeux numériques correspondent un nouveau métier, nécessitant de mobiliser de nouvelles compétences. Le numérique dans la classe n’est pas une simple transposition du livre, les enseignants doivent développer de nouvelles stratégies. L’enjeu est beaucoup plus complexe.

• Les compétences se modifient. L’enseignant à l’ère du numérique n’exerce plus uniquement dans un espace géographique réduit au mur de la classe et au temps du cours, LE face à face professeur / élève. Le numérique a rendu poreux les frontières du pédagogique (Anne – Marie Bardi – L’école et les réseaux numériques – Juillet 2002). Nous ne sommes pas dans une simple transposition livre – internet, le passage du livre au numérique transforme les attendus.

- Les compétences évoluent, se complexifient. La seule maîtrise du champ disciplinaire ne suffit plus. Il est nécessaire d’inscrire sa démarche dans un cadre plus large où s’inscrivent une multitude de compétences :
- Les compétences juridiques (droit d’auteur, droit à l’image, l’exception pédagogique de la loi DADVSI…) ;
- Les compétences de régulation, il faut être en capacité de réguler des flux d’information des élèves ;
- Les compétences technologiques, la maîtrise du net nécessite une formation de base sur les outils ;
- Les compétences rédactionnelles, le principe du « hello world » nécessite une attention de tous les instants sur la qualité des contenus mis en ligne. En ouvrant (potentiellement on peut l’ouvrir) l’espace d’apprentissage à des acteurs multiples on se doit de développer une politique de gestion des droits de lecture – écriture (dans un langage wordpress définir qui est administrateur, contributeur, abonné, éditeur, auteur). Exit le doigt levé pour prendre la parole ;

- Les compétences didactiques parce que l’introduction des TICE ne se résume pas à la seule maîtrise d’un outil (même si le technologique s’apprend – voir supra). Il faut que les enseignants construisent des scenarii pédagogiques qui tiennent compte de nombreux paramètres comme le contexte, les outils, les acteurs et les ressources. Ce n’est qu’à cette condition que le numérique à une chance d’émerger en tant que système efficace, vecteur de plus value pédagogique. L’époque de la fiche de préparation s’éloigne. La conception des cours s’opère dans un registre multimodal (texte, image, son et vidéo).

• Le temps et l’espace se dilatent Les réseaux numériques perturbent la notion d’espace éducatif. Les divers espaces de la vie d’une personne se percutent. Il devient difficile, dans une logique numérique, de rendre étanche les temps personnels, les temps sociaux et les temps professionnels (les espaces numériques de la mission TICE en sont un exemple flagrant ; je lis un billet rédigé à 23 heures un samedi soir). Quelle est la situation d’un enseignant qui rédige le samedi tardivement ? Quid de l’enseignant qui répond à un de ses élèves entre deux activités privées sur le net ? Ce n’est pas le décret de 50 qui va y répondre ! On peut multiplier les exemples. Beaucoup de questions générées par les nouvelles technologies sur les nouvelles méthodes de travail et … peu de réponses, pourtant beaucoup de pratiques dans le corps enseignant, qui n’économise ni son temps, ni son énergie, ni sa très forte capacité à travailler de façon réticulaire.

• Les acteurs se diversifient

o Les associations d’enseignants

Elles viennent bouleverser les rapports existants dans le monde éducatif. Leur activité débordante ne cesse d’étonner (de m’étonner). Un foisonnement intellectuel, un débat permanent, des connexions qui se chiffrent en million, des publications, une adhésion du corps enseignant à leurs écrits, une écoute de la part de la mission E.educ pour Sésamath. Mais … dans le cadre d’un travail bénévole. (Clionautes, openenglish, sésamath, weblettre …), aussi efficaces et utiles soient-elles, leur action est en dehors des temps institutionnels du métier d’enseignant, pourtant elles sont très présentes dans le temps de travail des profs – Paradoxe du temps réel de l’enseignant et du temps institutionnel du métier d’enseignant.

o La multiplication des acteurs au sein des dispositifs de formation

Le numérique permet d’intégrer des acteurs multiples dans les processus d’apprentissage (autres classes, autres enseignants, professionnels…) selon les besoins de la formation (initiale, alternance, formation continue, VAE). Ces relations réticulaires demandent une autre organisation aussi bien dans le temps que dans l’espace.

• Le travail se transforme

Tous les enseignants qui se sont frottés, se « frottent » ou vont se frotter à l’intégration des TICE dans les dispositifs d’apprentissage savent (ou sauront) que cette activité est chronophage (conception, maintenance, accompagnement des élèves, temps de formation ou d’autoformation). On est dans un autre registre que la préparation traditionnelle.

Le rapport de l’inspection générale – Mission d’audit de modernisation Rapport sur la contribution des nouvelles technologies à la modernisation du système éducatif mars 2007 le souligne dans ce passage – témoignage (page 17) :

« L’intégration d’un objet technique dans une pratique professionnelle n’a de chance de succès que s’il est sûr et que s’il rend les services attendus. L’enseignant soucieux d’utiliser au mieux le temps de la classe et l’attention de ses élèves, ne s’exposera pas volontiers à des situations de blocage et ne tolèrera pas de longs délais d’accès aux ressources. Il ne peut préparer systématiquement deux cours, dont un de secours en cas de panne, risquer de perdre des préparations ou des travaux d’élèves, ne pas pouvoir imprimer au moment voulu le document nécessaire à une synthèse ou à un travail ultérieur de la classe, gérer les aléas informatiques en même temps que le déroulement de la séance. »

La confusion des espaces pose la question du : « quand suis-je enseignant, quand ne le suis je plus ? », quel temps recomposé pour assurer, construire, faire évoluer mes apprentissages ?

• La question

La question qui se pose à l’heure actuelle et compte tenu des arguments évoqués précédemment : Ne doit –on pas intégrer le temps numérique dans le statut de l’enseignant du primaire et du secondaire ? Dans les faits le numérique est prégnant, la profession – bon gré, mal gré – s’adapte aux changements. Le droit va-t-il intégrer ces changements radicaux ? Je rappelle que le changement va au – delà de la simple introduction de nouveaux outils, il opère une nouvelle définition du métier. La mémoire de notre institution nous prouve qu’à des moments de notre histoire nous avons su le faire, bien avant la rupture du numérique. A titre d’exemple L’OFRATEME a permis dans les années 60 d’aider les instituteurs à éduquer les élèves aux arts et à la poésie via la radio scolaire. Temps de formation des élèves et des instituteurs intégrés dans les programmes (il est possible d’écouter le témoignage de Jean Valérien à ce sujet sur Canal U). On aurait pu prendre la décision d’inciter les élèves à écouter le programme chez eux, on ne l’a pas choisi (je fais partie de cette génération qui a pris goût à la musique classique grâce à France culture lors des séances en classe le mardi après midi.

Très récemment dans le supérieur, le décret n° 2009-460 du 23 avril 2009 fixant les dispositions statutaires communes applicables aux enseignants-chercheurs dans son article 3 énonce : « Les enseignants-chercheurs participent à l’élaboration, par leur recherche, et assurent la transmission, par leur enseignement, des connaissances au titre de la formation initiale et continue incluant, le cas échéant, l’utilisation des technologies de l’information et de la communication. » Ce texte par voie de décret officialise le temps numérique dans le supérieur, il en donne même la transcription pécuniaire dans l’arrêté du 31 juillet 2009 approuvant le référentiel national d’équivalences horaires /…/ dans la rubrique innovation pédagogique il est indiqué que l’ « Élaboration et mise en ligne d’un module d’enseignement ou de formation, sans tâches directes liées à l’assistance et l’évaluation des étudiants. Forfait d’heures identique à l’équivalent en nombre d’heures d’enseignement présentiel. » On le constate l’idée de temps numérique fait son chemin, même si l’expression cas échéant met un bémol, elle entre dans les dispositifs statutaires. Pourquoi le secondaire ne ferait –il pas l’objet d’une analyse en ce sens ?

Je sais que je pose une question sensible, qui risque de susciter des débats vifs et contradictoires mais il me semble qu’elle mérite un débat approfondi, la mission Tice est un lieu idéal.

6 Réponses to “Temps numérique, temps statutaire”

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  1. Twitted by Marsattac - 8 octobre, 2009

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